Chronique du lundi 22 novembre 2010
Voix et séduction
Arnaud J. (22ans - serveur)
Bonjour
monsieur. Un de vos anciens élèves (Pierre V.) m’a conseillé de vous
contacter. Je ne suis pas chanteur mais ma voix parlée me cause un vrai
souci. En deux mots, elle est très laide ! Cela me pose un gros
problème, dans ma profession d’abord, et dans ma vie intime d’autre
part. Pierre m’a dit que cela pouvait s’arranger avec le travail. Je
n’en suis pas vraiment convaincu mais j’aimerais vous rencontrer pour
avoir votre avis en direct. J’attends votre appel au (x). Merci
d’avance. Cordialement. Arnaud.
Ma réponse
Arnaud.
Je viens de lire votre mail dont je vous remercie. Je pense que Pierre
V. a raison, cela peut s’arranger. Sans connaître les causes de votre
problème, je peux cependant vous dire que j’ai toujours constaté qu’un
travail vocal judicieux améliorait considérablement la résonance de la
voix parlée. Si votre « instrument » est vraiment très abîmé, il ne se
transformera pas, comme par miracle, en « Stradivarius » mais je puis
vous assurer que la qualité de votre timbre sera bien meilleure. Je
vous appellerai demain sans faute. Bien cordialement. Jean Laforêt.
Bilan vocal d’Arnaud
J’ai
reçu Arnaud la semaine suivante. Grand et svelte, chaussé d’imposantes
lunettes noires et coiffé d’une super-casquette à la mode, il avait un
air de star se déplaçant incognito ! Avait-il des yeux aussi « laids »
que sa voix pour les dissimuler ainsi ? Dès qu’il a eu retiré ses
lunettes pour me saluer, j’ai constaté qu’il n’en était rien ! Il avait
un beau regard bleu-clair et le sourire qu’il m’a adressé alors était
tout à fait sympathique ! J’ai pensé qu’il avait physiquement tout pour
plaire ! Ses premières paroles m’ont brusquement ramené à une plus
triste réalité !
Mon Dieu, avec quelle voix
s’exprimait ce jeune homme ! La définir ici m’est difficile. Ce qui est
certain, c’est qu’elle était laide, très laide. J’avais eu des cas
nombreux de voix plus ou moins rauques, haut perchées ou éteintes mais
jamais d’une qualité aussi médiocre ! De surcroît, Arnaud s’exprimait
avec un débit de paroles rapide. Ce n’était pas un calme, loin de là !
Il m’a expliqué que sa voix était devenue progressivement un vrai
cauchemar pour lui ! Il avait essayé de parler moins fort, moins haut,
etc. Rien n’y avait fait. Récemment, Pierre, un ami à lui que j’avais
fait travailler jadis, l’avait convaincu de venir me voir. Après la
lecture de quelques billets du site, il s’était décidé.
J’étais vraiment perplexe et j’ai cru un instant devoir jeter l’éponge. Un tel désastre était-il réparable ?
Son
timbre, assez rauque, était paresseux, guttural et nasal à la fois. On
avait l’impression qu’un grasseyement continuel l’empêchait de décoller
du fond de la gorge ! Cette voix me faisait penser à celle que pourrait
avoir un gros fumeur aviné, parlant à toute vitesse, un mégot collé au
coin des lèvres ! A la relecture, cette image me paraît à peine trop
forte ! L’ennui, c’était que le visage d’Arnaud n’avait rien de celui
d’un fumeur aviné ! L’inadéquation de ce beau visage et de cette voix –
qu’il faut bien qualifier de laide – avait quelque chose d’hallucinant
! Je comprenais facilement que ce handicap le gêne dans son travail de
serveur et dans sa vie sentimentale !
Comme dit plus haut, le «
paradoxe » était que son timbre, se traînant en fond de gorge, était
véhiculé très rapidement. Arnaud parlait vite, mangeant la moitié de
ses mots ! Ce curieux mélange, tout à fait hétéroclite, était plus que
surprenant ! Je lui ai dit, au bout de quelques instants :
- Es-tu fumeur ?
- Un peu, sans plus. Cinq ou six cigarettes par jour.
- C’est toujours trop, mais on ne peut pas dire que tu abuses ! Tu cries beaucoup dans ton métier ?
- Non ! Ça arrive, mais rarement !
- Donc, en fait, tu ne forces pas ta voix ?
- Non
- Tu m’as dit que tu jouais au foot ?
- Oui… là, je crie un peu mais sans plus !
- Tu es enroué après les matchs ?
- Non !
Les tests vocaux
Torse
nu et ventre libre, Arnaud s’est prêté de bonne grâce aux divers
exercices vocaux que je lui ai proposés. Ils ont été chantés avec une
assez bonne puissance. Son oreille s’est révélée excellente. Nous avons
parcouru, avec divers exercices, un ambitus relativement important pour
une voix non entraînée (la1 à fa3) sur « a ».
Techniquement
La
respiration était thoracique haute et le ventre, très musclé,
complètement noué. En revanche, la gorge me donnait l’impression de
manquer cruellement de muscles ! L’aspect nasillard, très prononcé sur
certaines fréquences, donnait parfois de curieuses couleurs ! Tous ces
défauts n’étaient pas pour me déplaire car je sais d’expérience que,
plus ils sont nombreux, plus on a de chances de progresser en les
corrigeant !
Les sons tenus ont été assez bien réussis : Arnaud avait une bonne longueur de souffle !
Décision de travail
Je
lui ai fait part de tout ce qui est dit plus haut, en minimisant
cependant un peu l’aspect négatif pour ne pas gâcher sa motivation :
- Oui, ta voix a « sacrément » besoin d’être travaillée pour améliorer ton timbre !
- Vous pensez sérieusement que nous pourrons arriver à un résultat ?
- Oui, mais je ne te cacherai pas que la tâche sera
ardue. Cependant, plusieurs facteurs, responsables du timbre, sont
susceptibles d’être améliorés…
- Lesquels ?
- Tout d’abord, tes nerfs. Tu es beaucoup trop nerveux. Ça n’arrange vraiment rien !
- C’est mon problème qui me rend nerveux !
- Oui, bien sûr ! Cependant, la cause principale n’est pas là !
- Elle est où ?
- C’est un problème multiple ! Pour continuer… ta respiration et ton Appui vocal ne sont pas bons !
- L’Appui ?
- C’est un terme technique. Cela signifie, en gros, la façon d’utiliser ton souffle pour chanter ou parler.
- Je l’utilise mal ?
- Très mal ! Il y a aussi autre chose de très
important. Ta musculature laryngée me semble très déficiente. Il faut
la tonifier ! Quand ce sera fait, nous pourrons travailler sur la
résonance, le plus délicat !
- Combien faudra-t-il de temps ?
- Impossible à dire. Je te propose d’essayer pendant deux mois. Si rien ne se passe, nous arrêterons !
- Mais, il y a une chance ?
- Certainement !
- OK ! Je suis preneur !
Nous avons opté pour un cours intégral, afin de ne rien laisser au hasard !
Voir le billet : « Le chant thérapie, un travail vocal intégral »
Les premiers cours
Nous
avons commencé à travailler la semaine suivante ! Arnaud a coopéré à
100% ! Il voulait vraiment « essayer » de faire les choses « à fond »
pour se donner le maximum de chances ! Les relaxations – comme à la
majorité des élèves - lui ont fait prendre conscience de l’état de
stress qu’il véhiculait depuis longtemps ! Au tout début, se détendre
lui a été assez difficile mais, rapidement, il y a pris goût ! Les
massages, qu’il appréciait énormément, l’ont beaucoup aidé à réduire
ses tensions abdominales. Il m’a appris, quelque temps après le début
des cours, qu’une douleur au bas du dos – due sans doute aux kilomètres
à pied qu’il parcourait chaque jour à son travail - avait également
disparu progressivement ! Tout cela allait dans le bon sens !
Le Taïchi vocal
Réalisé
en position allongée, il a été consacré exclusivement, au tout début, à
calmer, puis à approfondir sa respiration. Cela a été assez vite ! Au
bout de quelques leçons seulement, son souffle abdominal était presque
en place. De ce fait, j’ai pu commencer rapidement à travailler
l’équilibre pneumo-phonique avec des « cris » très doux !
Au
cours de ces exercices, j’avais généralement l’habitude d’entendre des
voix d’une certaine qualité. Avec Arnaud, c’était un peu différent. Les
sons qu’il émettait n’avaient rien de particulièrement attrayant. Cela
n’avait aucune importance car, pour l’instant, mon but n’était pas de
travailler la « qualité » du timbre. Je m’attachais seulement à
rétablir son équilibre pneumo-phonique du mieux que je pouvais ! (*)
(*)
Là-aussi, Arnaud a pu, assez vite, se rendre maître de la connexion
souffle-voix… qui donne parfois beaucoup de « fil à retordre » à
certaines personnes !
Un léger progrès
Je
me suis vite rendu compte que lorsque cette connexion était correcte,
le timbre, mieux soutenu, était meilleur ! On pourrait dire qu’il «
décollait » un peu du fond de gorge, libérant de nouveaux harmoniques !
En fait, le fondamental sonnait un peu plus haut ! Les cordes vocales,
mieux sollicitées, libéraient des sons plus nets ! Cela est toujours
vrai mais, dans le cas d’Arnaud, c’était encore plus évident ! J’ai été
très heureux de ce résultat qui me laissait désormais entrevoir une
issue à son problème !
Une vocalisation simple bouche fermée
J’avais
maintenant ajouté à notre programme un exercice de vocalisation très
simple. En position verticale, le souffle et la connexion
pneumo-phonique étant très en place (cela est primordial), l’exercice
consistait à chanter des « sons tenus » bouche fermée. Je demandais à
Arnaud, après avoir attaqué ces « hum » très doucement, de faire un
crescendo puis de revenir ensuite au piano ! En quelque sorte, cet
exercice était le reflet « bouche fermée » d’une « messa di voce » !
Voir le travail de la « messa di voce » dans le billet : « Le cours de technique vocale type »
La
statique, dans cet exercice, a autant d’importance que la connexion
vocale. La nuque doit être légèrement étirée, comme si la tête était
suspendue par une mèche de cheveux située en haut de l’occiput, au
sommet du crâne ! De ce fait, on perçoit très bien la résonance vocale
qui semble envahir entièrement la tête et le buste. Cette résonance «
osseuse » constitue un guide très appréciable pour l’oreille ! On
perçoit encore mieux cette résonance si les dents, non serrées, sont en
contact léger !
Tout cela est expliqué en détail dans le billet : « L’autre dimension de la voix ! »
L’ambitus
de cet exercice, avec Arnaud, était d’une octave environ. Nous
commencions vers mi2, descendions par demi-tons à si1. Ensuite,
reprenant à fa2, nous montions, toujours par demi-tons, jusqu’à do3.
Naturellement, cela variait selon sa forme du moment. Je donne là, un
ambitus de travail moyen.
En progrès continu
Oui,
je peux dire que l’exercice ci-dessus a été le départ de progrès qui
n’ont fait que croître et embellir ! J’ai ensuite « lié » cette
vocalisation ultra-simple sur « hum » à des « ou » puis des « ô » très
doux. (*)
(*)
Pour donner un exemple pratique, sur une tenue de quatre temps, les
deux premiers étaient chantés sur « hum » et les deux derniers sur « ou
» ou « ô » !
La position correcte de la
nuque était désormais bien ancrée chez Arnaud ! Il se tenait droit
comme un « i » ! Je devais cependant veiller à ce que cette position
soit prise sans raideur, ce qui aurait été catastrophique !
Vocalisation normale au bout de six mois
Parallèlement
à la relaxation et au Taïchi, une demi-heure de vocalisation (que l’on
peut qualifier de « normale ») terminait maintenant tous nos cours. La
voix chantée d’Arnaud, mieux ouverte et mieux soutenue par l’Appui,
sonnait différemment ! Le timbre, au fil des leçons, devenait de plus
en plus incisif. Les sons ne tombaient presque plus en gorge. Son
aspect vocal « écroulé et mou » se transformait progressivement, cédant
le pas à un timbre plus clair et plus tranchant.
La
vocalisation employée n’avait pourtant rien de vraiment exceptionnel.
Elle était composée, en majorité, des exercices que j’emploie
habituellement. (*)
(*) J’étais à la fois étonné et ravi des résultats relativement rapides que j’observais !
Un peu d’hygiène vocale
Arnaud
fumait peu. Je l’ai cependant convaincu sans trop de mal à s’arrêter
tout à fait et à respecter quelques simples règles d’hygiène vocale. Il
m’a appris qu’il avait parfois des reflux gastriques
(gastro-oesophagiens) qu’il ne s’était jamais soucié de soigner. Je lui
ai demandé d’aller consulter un ORL pour qu’éventuellement celui-ci lui
donne un traitement. Je sais d’expérience que les reflux sont
extrêmement nocifs pour la voix ! Voir le billet :
« L’hygiène vocale ».
Les modulations
Le
moment était venu de lui faire travailler des « modulations » destinées
à « équilibrer » la résonance de l’émission des principales voyelles !
J’ai
choisi, comme souvent, la modulation « a é i ô u ou on an â ». Nous
l’avons, je dois le dire, beaucoup travaillée car elle constituait
l’outil principal pour améliorer efficacement la qualité de son timbre.
Arnaud avait heureusement une très bonne longueur de souffle, ce qui
nous permettait d’éviter toute fatigue vocale. (*)
(*)
Dans le cas où cette modulation – qui doit être chantée lentement - est
ressentie comme vraiment trop longue par l’élève, on peut respirer
après « u » et attaquer de nouveau sur « ou » ! Cependant, avec un peu
d’entraînement, elle peut être chantée entièrement sans problème ! Les
résultats obtenus n’en sont que meilleurs !
Voir le travail des modulations dans le billet : « Le cours de technique vocale type »
Un moral en hausse
C’était
même plus que ça ! Arnaud commençait à être un autre homme. Il ne
doutait plus un seul instant du succès final de notre opération ! Son «
nouveau » timbre (on peut le dire) lui donnait des ailes. En plus de
notre travail commun, je lui avais donné un texte, répété en cours,
avec « mission » de le dire plusieurs fois par jour à haute voix !
C’était un texte court, très simple, mais… en italien !
Exercez-vous
! Rien que le fait de prononcer, avec le bon accent, la petite phrase
suivante : « Parla italiano ? » place la voix différemment. Elle
atteint avec beaucoup plus d’efficacité la zone de résonance faciale.
Pour vous en convaincre tout à fait, prononcez juste après, en bon
français cette fois-ci : « Parlez-vous italien ? »
La
différence de « luminosité » vocale est flagrante ! On comprend
facilement pourquoi les chanteurs lyriques français ont tout intérêt à
chanter souvent en italien… (*)
(*)
En terme de rééducation de la voix parlée, il est évident que la langue
italienne offre aussi des avantages certains, surtout lorsque la
colonne d’air est en bonne place et l’Appui correctement exécuté !
C’était maintenant le cas d’Arnaud.
La méthode Assimil
Après
différents essais sur des phrases en italien, j’ai convaincu Arnaud -
devant l’excellent résultat constaté - d’acheter une méthode « Assimil
» d’italien et d’en travailler les premières leçons ! Il a tout d’abord
ouvert de grands yeux à cette idée mais s’est rapidement rangé à mon
avis !
La semaine suivante, nous nous sommes
amusés à faire quelques dialogues en nous aidant de son livre. Le «
test » a été très concluant ! Sa voix sonnait tout à fait différemment
et il en était parfaitement conscient.
Italien et français en alternance
Pour
profiter au maximum de cette opportunité, nous avons pratiqué un petit
exercice tout simple. Il s’agissait, après avoir prononcé une phrase en
italien de la répéter juste après dans sa traduction française en
essayant de conserver la « hauteur d’émission » de la première «
mouture » !
Pratiquement, pour donner un
exemple simple, il s’agissait de dire à voix haute : « Parla italiano ?
» puis, immédiatement après, en s’inspirant de la résonance de cette
première phrase, de prononcer en bon français : « Parlez-vous italien ?
»
Cela a donné des résultats étonnants ! La
phrase en français, prononcée ainsi, à l’italienne, résonnait beaucoup
plus haut ! (*)
(*)
En « habituant » Arnaud à cette « gymnastique », je l’incitais à faire
sonner ses voyelles dans une bien meilleure place de résonance. Cela
était tout bénéfice pour nous !
Les Vaccaj
Parallèlement,
je lui ai fait apprendre les premières leçons de Vaccaj. Cela a
constitué le « pendant » vocal à nos phrases déclamées en italien ! Il
s’est passionné pour ce travail si nouveau pour lui. Lui qui était venu
me voir pour améliorer une voix parlée problématique, se retrouvait en
pleine étude de chant lyrique… et cela lui plaisait !
Son
timbre, au contact de cette langue ensoleillée (les Vaccaj sont des
petites « mélodies » en italien) continuait à se charger de beaux
harmoniques… tout allait donc pour le mieux !
Une fable
Fidèle
à mon habitude, j’ai demandé également à Arnaud d’apprendre une fable
de La Fontaine que nous pourrions travailler à fond, tant au point de
vue de la technique pure que de l’interprétation. Il a choisi « Les
animaux malades de la peste ».
Cette fable
assez longue, loin d’être facile, procure l’occasion de prêter sa voix
à de nombreux personnages différents : le lion, le renard, l’âne, etc.
Cela demande un effort d’interprétation où les couleurs et le rythme
varient constamment. (*)
(*)
Avec ce travail, il a notamment appris à réguler son débit de paroles
pour éviter de « manger » la moitié de ses mots et à « soutenir » ses
fins de phrases !
Voir les détails dans les billets :
« Parler m’épuise complètement »
« Le bégaiement est-il guérissable ? »
Une chanson
Il
fallait bien en chanter au moins une ! Nous avons choisi « Je m’voyais
déjà » de Charles Aznavour. L’articulation assez rapide de cette
chanson a été un vrai challenge pour Arnaud qui a dû s’escrimer
longtemps avant de pouvoir prononcer distinctement ce texte chanté ! Je
me dois d’ajouter qu’il s’amusait comme un petit fou !
Epilogue
La
belle histoire d’Arnaud s’achève. Le problème qui l’avait amené est
maintenant bien loin de lui ! Il vient encore me voir de temps en temps
pour un petit contrôle qui nous permet – entre autres - de chanter
quelques chansons. A ce propos, son répertoire a augmenté ! Il est
devenu un habitué d’un karaoké proche de chez lui !
Il n’a pas repris la cigarette…
A bientôt ?
Pour consulter les archives des billets, c’est ici !

Jean Laforêt