Chronique du Dimanche 20 mars 2011
Je déteste ma voix
Fabien S. (guitariste-chanteur – 28 ans)
Bonsoir
monsieur. En parcourant les billets de votre site, j’ai pensé que tout
n’était peut-être pas perdu pour moi ! Je m’explique. J’ai 28 ans, je
suis guitariste et j’écris des chansons. Mon problème est que je
déteste ma voix… et c’est grave ! J’avais un projet d’album, mais mon
timbre est vraiment trop laid ! Je n’arrive à rien. J’aimerais faire un
bilan vocal avec vous pour faire le point. Simplement, je souhaite que
vous me disiez l’entière vérité sur ma voix et s’il est raisonnable ou
non d’espérer un résultat ! Je suis joignable au (x). Cordialement.
Fabien.
Ma réponse
Bonsoir
Fabien. Vous avez eu raison de m’écrire. J’ai fait travailler plusieurs
personnes qui, comme vous, n’aimaient pas leur voix, à tort ou à
raison. Seul, un bilan vocal nous renseignera exactement sur votre
problème. Cependant, ne désespérez pas, il y a de fortes chances qu’il
existe un moyen de vous tirer d’affaire. Je vous appellerai demain sans
faute. Bien cordialement. Jean Laforêt.
Bilan vocal de Fabien
La
semaine suivante, j’ai vu arriver à l’heure dite un grand jeune homme
brun. Il avait les cheveux longs et ses yeux bleus, très vifs,
brillaient sous de petites lunettes modernes. Tout en lui respirait «
l’artiste ». Il était venu avec sa guitare afin de me chanter
quelques-unes de ses compositions.
Dès le début
de notre entretien, il m’a dit qu’il avait complètement terminé une
vingtaine de chansons mais désespérait de pouvoir les interpréter un
jour en public tellement sa voix était laide ! Sa parole, rapide et
heurtée, signait une belle nervosité !
Il m’a
ensuite chanté deux de ses chansons en s’accompagnant à la guitare et
j’avoue avoir été séduit par le talent incontestable avec lequel il les
interprétait. Les textes, mêlant français et anglais, étaient
intéressants et la musique, de facture très moderne les soutenait avec
bonheur. Je dois dire aussi que Fabien était un super-guitariste, ce
qui ne gâchait rien…
Point noir :
Il
chantait très juste mais sa voix était effectivement d’une qualité plus
que médiocre. Dans un autre domaine, sa prononciation, elle-aussi,
laissait beaucoup à désirer ! (*)
(*)
De nombreux artistes de variété – nous le savons tous - ont très bien
réussi avec des moyens vocaux très « limités » ! Selon moi, Fabien
avait raison de vouloir essayer d’améliorer les choses, ne serait-ce
que parce que le fait de haïr tellement son timbre le bloquait pour
chanter en public ou s’écouter sur un enregistrement.
Dès
cette première écoute, j’avais été certain que l’on pouvait parfaire la
couleur de sa voix en remédiant aux anomalies « criantes » que je
décelais dans son émission !
En gros, la place
vocale n’était pas bonne, ce qui entretenait – entre autres - un timbre
nasillard assez prononcé allant de pair avec un serrage de gorge. De
plus, la respiration, thoracique haute, rendait impossible l’appui
correct du souffle ! Cela donnait à sa voix un aspect « factice » ;
elle n’était pas convaincante, servant mal la qualité de la musique et
des textes ! Une certaine « humanité » manquait ! Parlons aussi de la
position de la tête qui, comme chez de nombreux guitaristes-chanteurs,
était orientée vers le haut, menton levé ! Cette position, très néfaste
pour la position laryngée, favorise un serrage de gorge dont la
première conséquence est de priver la voix de nombreux harmoniques !
Son articulation, trop molle, n’arrangeait rien !
Dès qu’il a eu terminé, Fabien m’a dit :
- Qu’en pensez-vous ?
- Tu écris de très belles chansons ! Je trouve qu’il est excessivement dommage de ne pas en faire profiter les autres !
-
Pas avec cette voix-là ! Je m’enregistre souvent et les résultats sont
déplorables ! A votre avis, peut-on, oui ou non, faire quelque chose ?
- La réponse est oui !
- C’est vrai ?
- Tout à fait ! Je suis d’accord avec toi, ton timbre est assez ingrat actuellement mais tout cela peut s’arranger !
- J’ai confiance en vous. Mais comment réussir un tel tour de force ? Je désespère vraiment !
-
Tout simplement en travaillant correctement ! Je suis sûr qu’en
révisant ton émission dans son ensemble - elle en a grand besoin,
crois-moi - ton timbre s’enrichira considérablement en harmoniques. Ta
couleur vocale, tout en gardant ses caractéristiques fondamentales, en
sera transformée.
- C’est vraiment possible ?
- Bien sûr ! Faisons maintenant quelques tests à ma façon, je voudrais vérifier certaines choses.
- Ok !
Les tests complémentaires :
Ils
ont été faits torse nu et ventre libre. Fabien n’avait jamais pris de
cours de chant. Il s’est prêté de bonne grâce à plusieurs essais de
vocalisation avec lesquels nous avons tout d’abord parcouru,
cahin-caha, une étendue de deux octaves sur la voyelle « a ». Les « i »
et les « é », testés ensuite, se sont révélés très serrés ! Ce défaut
est courant chez de nombreux chanteurs débutants ! Le « ô » ne pouvait
être maintenue au-delà de la2. Il prenait à ce moment-là la couleur de
« o » (de Paul) indiquant que le « retour » de la voix se faisait en
arrière, quittant la place de résonance.
Torse
nu, son geste respiratoire paraissait encore plus catastrophique ! A la
fois thoracique et très étriquée, sa respiration était de plus gênée
par une cambrure très accusée. De ce fait, le dos ne participait pas du
tout au geste, la partie lombaire se creusant même à chaque inspiration
! (*)
(*) La
mauvaise position de la tête et cette respiration limitée contribuaient
déjà beaucoup au serrage laryngé qui lui-même facilitait le nasillement
désagréable que l’on percevait dans son timbre ! De plus, l’Appui
correct était, de par sa respiration haute, inexistant ! Cette cascade
de défauts suffisait presque à expliquer son problème.
Fabien,
travaillant seul, se heurtait à un mur qu’il croyait infranchissable !
Cette impuissance d’avancer avait sans doute contribué à le rendre
nerveux… et j’ai toujours constaté que ce dernier élément jouait
toujours un rôle très défavorable sur la voix !
Je lui ai posément expliqué tout cela dans le détail !
Nous
avons décidé de faire un « cours vocal intégral », meilleur moyen
d’obtenir une amélioration sensible dans un minimum de temps !
Voir le billet : « Le chant thérapie, un travail vocal intégral »
Les premières leçons
Nous
avons commencé la semaine suivante. Les relaxations, comme chez la
majorité des élèves, ont immédiatement mis en exergue des tensions
qu’il entretenait depuis longtemps. Au tout début, il a eu beaucoup de
mal à se détendre mais, assez rapidement, il a pris goût à cet
exercice. Tout doucement, au fil des leçons, sa respiration devenait un
peu plus large et un peu plus profonde.
Une
contraction, au niveau de l’épigastre, a perduré quelque temps puis
s’est estompée progressivement grâce aux massages ! Grâce à eux, le bas
de son dos – très contracté - gagnait lui-aussi progressivement en
souplesse !
Compte tenu de ces améliorations,
nous avons pu commencer assez rapidement – en Taïchi, toujours en
position allongée - à travailler sérieusement la respiration dorsale !
Fabien avait tout intérêt à progresser de ce côté-là pour rééquilibrer
au mieux sa statique ! (*)
(*) Il m’avait confié avoir souvent mal au bas du dos… cela n’avait rien d’étonnant !
Consulter à ce sujet le billet : « L’Inhibition abdominale » et « Les fondamentaux de la technique vocale »
Voir également des précisions au sujet de la rééducation de la respiration dorsale dans les billets : « Voix et statique corporelle » et « Un aigu problématique »
Une bonne habitude
Comme
dit plus haut, les massages - suivis d’exercices de Taïchi spécifiques
- contribuaient énormément à détendre le bas de son dos. J’ajoute qu’il
avait la manie – c’était visible - de le contracter à la moindre
occasion. La principale était de se tenir bien droit, « surtout »
lorsqu’il marchait dans la rue ! Je lui ai démontré que l’on pouvait se
tenir très droit en marchant, simplement en positionnant bien sa tête
et en « tenant » son abdomen un peu rentré. (*)
(*) Cela contribue à limiter la cambrure et à soulager les vertèbres lombaires.
J’ai
ajouté que cette bonne habitude – s’il consentait à faire l’effort de
s’y plier - se révèlerait excellente, entre autres, pour « soigner »
son mal de dos ! (*)
(*)
Il était décidé à faire tous les efforts nécessaires… il m’a promis de
faire aussi celui-là dans sa vie de tous les jours ! Au cours suivant,
il m’a confirmé avoir suivi mon conseil pendant toute la semaine. Cette
bonne résolution a perduré et nous a certainement beaucoup aidés dans
notre travail d’assouplissement de sa cambrure !
Les tout premiers exercices vocaux
Comme
décidé au bilan, l’émission vocale de Fabien a été reprise entièrement.
Très vite, grâce à sa respiration désormais plus profonde, nous avons
pu travailler l’équilibre pneumo-phonique en pratiquant avec bonheur –
toujours en position allongée - des séries de cris et de sirènes. (*)
(*)
L’équilibre pneumo-phonique représente la relation harmonieuse qui doit
exister entre le souffle abdominal et la voix. L’action de l’appui
vertical est abordée au cours de ces exercices préliminaires !
Toutes les explications à ce sujet sont dans les billets :
« La technique vocale fondamentale »
« Les fondamentaux de la technique vocale »
Voir aussi le billet : « Comment parler plus fort »
La gymnastique vocale
Nos
premiers exercices « en position verticale » ont été consacrés à la
gymnastique vocale. Il était indispensable de lui apporter, le plus
vite possible, le maximum d’éléments pour continuer à rectifier au
mieux sa statique et affirmer sa respiration profonde. La gymnastique –
entre autres - répondait tout à fait à ces deux exigences !
Nous la pratiquions à chaque cours !
Voir, pour des précisions sur certains éléments de cette gymnastique vocale, le billet : « L’articulation dans le chant »
Un rapide échauffement
Il
constituait notre premier exercice vocal. Non précis mais très
efficace, il consistait, sur toute la tessiture (par demi-tons, en
partant du grave de la voix), à produire des quintes ascendantes en
sons conjoints sur « Br…oum » (imiter un bruit de moteur… les lèvres
vibrent). La même chose est ensuite réalisée avec des sirènes sur des
sauts d’octaves.
Nous enchainions avec des sons
bouche fermée (hum) - et également bouche ouverte (NG) - sur divers
intervalles simples (en principe, des arpèges d’accords de quintes et
des sauts d’octaves). Notre ambitus de travail était d’une octave et
demie environ (voire deux octaves, selon la forme du moment).
Ces échauffements sont expliqués en détail dans le billet : « Faire sa voix avant un spectacle »
Il
va sans dire que, même pendant ce travail « préparatoire », je
surveillai très attentivement la statique et les réactivations
diaphragmatiques de Fabien !
En plus de la
gymnastique vocale (qui corrigeait déjà en partie ce problème), nous
faisions aussi, pour améliorer la respiration dorsale réflexe, un
exercice simple et très efficace dont la pratique est expliquée en
détail dans le billet : « Voix et statique corporelle ».
Les progrès
Au
bout de trois petits mois, ils étaient évidents. La voix de Fabien,
désormais mieux posée et plus libre, était infiniment moins nasillarde
et sa respiration, plus profonde, permettait une meilleure stabilité
générale de l’émission. Son ensellure s’était considérablement
assouplie, permettant une meilleure respiration dorsale.
Mon
chanteur était maintenant beaucoup plus calme. Néanmoins, il a souhaité
que nous continuions les relaxations et le Taïchi au début de chaque
leçon.
Cela constitue, en effet, une très bonne mise en condition.
Vocalisation simple
Notre
programme s’était enrichi d’une vocalisation simple. La gymnastique
terminée, elle se composait d’une progression d’exercices des plus «
bateaux » que je surveillais d’une façon drastique, faisant en sorte
qu’aucune erreur technique ne passe.
Je me répète sans cesse : l’exercice choisi n’est pas l’essentiel, seule la manière de le chanter compte vraiment ! (*)
(*)
En revanche, dans une leçon, l’ordre dans lesquels les exercices sont
proposés est primordial. De leur succession judicieuse dépend en grande
partie le résultat recherché ! Cependant, rien n’est immuable et l’on
peut être amené à prendre, dans certaines occasions, un contre-pied
radical au programme initialement prévu ! Cela arrive lorsqu’un élève
fait subitement une découverte technique ! Il faut en profiter
immédiatement et l’engager fermement sur cette nouvelle voie !
Je
dis souvent que les cours de technique vocale peuvent se comparer à des
« actions » plutôt qu’à des « obligations » bancaires ! Comme pour les
actions, les « gains » se font presque toujours par bonds ! Le schéma
de progression est davantage une ligne en dents-de-scie qu’une ligne
douce et continue ! Mais, tout le monde sait que les actions rapportent
plus que les obligations… (*)
(*)
En chant, l’attente entre deux pics de progression se traduit parfois
pour l’élève par une impression trompeuse de stagnation… jusqu’à la
prochaine découverte qui fera faire un bond très significatif à sa
courbe de progrès !
Revenons à Fabien et à la vocalisation !
Après
la gymnastique vocale, elle consistait tout d’abord à chanter des
quintes sur « ô », en sons conjoints dans un ambitus compris entre la1
et do3 (voire ré3). Mon but était, en m’aidant d’une « amorce » de
bâillement, de ramener sa voix en bonne place de résonance ! Une
meilleure statique du corps et la respiration profonde (désormais
acquise), nous facilitaient grandement les choses ! Assez vite, il nous
a été possible de pratiquer des exercices plus difficiles (gammes,
arpèges), tout à fait réussis, sur cette voyelle. Sa voix sonnait
désormais « autrement », d’une façon beaucoup plus harmonieuse. De «
nasillarde », elle était devenue « nasale », ce qui est tout à fait
normal dans le bas-médium et le médium d’une voix. (*)
(*)
Ce n’est qu’au deuxième passage, environ mib3 pour un baryton, que
l’émission, perdant complètement sa nasalité avec l’occlusion du cavum,
devient seulement « buccale ».
Les modulations
Elles
ont revêtu, dans notre travail, une importance capitale. C’est en effet
un exercice-roi pour unifier et embellir un timbre. Il doit être
entrepris seulement lorsque la technique générale est relativement
avancée. Dans le cas contraire, il ne ferait qu’accentuer les anomalies
présentes !
Nous avons surtout travaillé la
modulation « a é i ô u ou on an a ». Comportant deux « nasales », elle
s’est révélée parfaite pour unifier le bas-médium et le médium de sa
voix. (*)
(*)
Avant de travailler cette modulation, nous avions chanté – assez
difficilement au début - des messa di voce sur « ô » puis sur « a » (la
messa di voce consiste à attaquer un son piano, à l’enfler puis à le
diminuer de nouveau).
Vous trouverez l’explication détaillée de la pratique de ces deux exercices (messa di voce et modulations) dans le billet :
« Le cours de technique vocale type ».
Retour aux chansons
Fabien me dit un jour :
- J’ai rechanté chez moi quelques-unes de mes chansons.
- Le contraire m’aurait étonné…
- Je n’aurais pas dû ?
- Si, tu as bien fait ! Je ne te faisais aucun reproche, c’était seulement une constatation !
- Je me suis aussi enregistré !
- Bien sûr ! Alors ?
- Il n’y a pas photo ! Ma voix est complètement différente, en mieux !
- Tu as essayé d’appliquer ce que nous avons fait ici ?
- Un peu, mais sans plus ! Je me suis lancé un peu comme avant…
-
C’est une très bonne nouvelle que j’entends là ! Cela signifie que tu
as bien intégré notre travail et acquis un bon réflexe ! Il faudra que
nous voyons cela ensemble de façon à peaufiner les choses au maximum !
- OK ! La prochaine fois ?
- Oui. Choisis pour commencer deux ou trois chansons situées relativement dans le médium de ta voix !
Le travail final
Il
a consisté, comme dit plus haut, à peaufiner et à installer dans « le
réel » les progrès de Fabien. Il apportait désormais sa guitare à
chaque cours et, après un échauffement et une petite vocalisation, il
chantait ses chansons.
Je surveillais tout : la statique générale, les réactivations diaphragmatiques, les appuis, etc.
Je n’avais que peu de peine car il avait fort bien assimilé les corrections techniques essentielles à apporter à son chant !
Il
nous a fallu une dizaine de leçons pour parcourir son répertoire. En
fait, ce n’était pas vingt mais bien trente chansons au moins que nous
avons passées au crible ! J’intervenais uniquement sur l’aspect
technique et pas du tout sur l’interprétation ! Fabien était artiste
dans l’âme et donnait d’instinct à son chant toutes les inflexions
nécessaires !
J’étais au concert !
Les enregistrements, un peu plus tard...
Bientôt,
chaque séance a été consacrée à l’enregistrement de deux ou trois
chansons. Chacune était ensuite écoutée, réécoutée et critiquée par
nous sans ménagement ! Fabien n’était pas tendre avec lui-même… et cela
me plaisait assez ! Quelquefois, nous retravaillions certaines parties…
c’était assez rare ! De toute façon, notre but était atteint car son
timbre, tout en conservant ses caractéristiques fondamentales, était
devenu plus rond, plus humain… et convainquait davantage ! Consultés,
tous ses amis étaient unanimes là-dessus ! La prononciation était aussi
très améliorée. Les nombreuses séances de gymnastique vocale avaient
tonifié son appareil articulatoire. Sans produire un effort
particulier, il prononçait désormais très distinctement ses phrases
chantées. Cela permettait de goûter davantage ses textes qui, je le
répète, valaient le coup ! Quant à son nasillement, il n’était plus
qu’un souvenir !
Le concert
La
belle histoire de Fabien se termine. Un soir, il a invité tous ses amis
à un concert organisé dans un restaurant qu’il connaissait. Je n’ai pas
pu y assister mais il m’a offert un DVD réalisé à cette occasion !
Génial !
A bientôt ?
Pour accéder aux archives des billets actu, c’est ici !

Jean Laforêt