Chronique du Dimanche 08 avril 2012
Comment changer ma voix
Eric L. (30 ans – informaticien)
Bonsoir
monsieur. Je m’appelle Eric, je viens d’avoir trente ans et j’ai une
voix vraiment pas possible. Je ne suis pas chanteur. C’est un de mes
amis, Julien T. que vous connaissez, qui m’a communiqué l’adresse de
votre site. Je me suis reconnu dans plusieurs de vos billets et je me
décide à tenter ma chance auprès de vous. J’aimerais vous rencontrer
afin que vous me disiez si ma voix a une petite possibilité de
s’arranger avec des cours. Je suis au (X). Bien à vous. Eric
Ma réponse :
Eric.
Merci de votre mail dont je viens de prendre connaissance. Je vous
appellerai demain pour que nous prenions rendez-vous pour un bilan
vocal. Lui seul me permettra de vous donner une réponse fiable ! Je
peux cependant vous assurer dès maintenant qu’un bon travail vocal
améliore toujours, et ceci d’une façon très sensible, la qualité d’une
voix parlée. Gardez l’espoir. A très bientôt. Bien cordialement
Jean Laforêt
Bilan vocal d’Eric
J’ai
reçu Eric la semaine suivante. C’est un grand garçon mince et très brun
que l’on imaginerait davantage sur une scène de théâtre que derrière un
ordinateur. Il possède un regard bleu-sombre très intense tout à fait
extraordinaire. Cependant, le franc sourire dont il me gratifia en me
saluant n’arrivait pas à masquer une évidente timidité. Il me dira par
la suite qu’il ne s’était décidé à me contacter que pressé par son ami
Julien.
Je l’observais avec attention tout en
animant la petite conversation qui précède les tests. Il répondait
nerveusement à mes questions d’une voix à la fois serrée, sourde et «
surélevée » qui ne paraissait avoir aucun lien avec son corps. Ses
réponses étaient franches, mais brèves et hachées comme s’il avait hâte
de s’en débarrasser. (*)
(*)
Sa voix ne correspondait aucunement à son physique et je comprenais
parfaitement que cette « intruse » lui pose un gros problème. De plus,
sans l’ombre d’un doute, ce garçon était un grand nerveux !
Pour
le rassurer, je lui ai raconté les histoires de plusieurs élèves qui,
dans des cas similaires au sien, avaient finalement trouvé une issue
favorable à leur problème. Il en connaissait déjà la plupart pour les
avoir lues dans les billets. Malgré cela, sa curiosité ne tarissait
pas… et j’ai dû répondre à beaucoup de questions.
Je
constatais avec plaisir qu’il se détendait de plus en plus au fil de
notre conversation. Sa voix en bénéficiait et semblait même gagner un
peu en profondeur…
Les tests
Ils ont eu lieu torse nu et ventre libre.
J’ai
demandé à Eric de me lire un texte afin de mieux cerner son geste
vocal. Une fable de La Fontaine, « Le corbeau et le renard » a fait
l’affaire. Mon premier constat fut une « tétanisation » absolue du
torse et de l’abdomen. Les réactivations diaphragmatiques ne
provoquaient aucun mouvement souple, si infime soit-il. Tout se passait
dans la contraction la plus complète. Sa voix donnait vraiment
l’impression d’un instrument à vent qui aurait fonctionné sans air ! La
gorge, extrêmement serrée, accomplissait à elle seule un travail
considérable pour un rendement insignifiant !
Après
ce premier test, bien que subodorant le résultat d’avance, j’ai demandé
à Eric de crier, comme pour appeler quelqu’un situé loin de lui. Le cri
qu’il essaya de produire à ce moment-là fut pitoyable.
Nous
avons entrepris ensuite une petite vocalisation. Un problème d’oreille
fut mis en exergue immédiatement mais ne me parut pas très grave. Les
tensions qui l’habitaient et l’absence d’habitude de produire des sons
chantés pouvaient l’expliquer. Nous avons parcouru tant bien que mal un
ambitus d’une octave (do2/do3) sur « â ». Je n’ai essayé aucune autre
voyelle car celle-ci, pourtant très large de nature, était déjà
excessivement serrée. (*)
(*)
Eric se prêtait de bonne grâce à tous les essais demandés, tout en
ayant certainement conscience qu’il lui était très difficile de les
réussir, même partiellement ! De mon côté - à la condition expresse
qu’il m’offre une collaboration totale - j’ai été tout de suite
persuadé de pouvoir l’aider à améliorer sa voix.
A
la fin de ce bilan, je lui ai fait part de mes déductions, sans rien
omettre. Je lui ai assuré que sa voix pourrait faire de gros progrès à
condition d’entreprendre un « travail intégral ». J’ai insisté sur le
fait que son état nerveux revêtait à lui seul une grosse part de
responsabilité dans ses ennuis vocaux !
Il a
convenu qu’il était très nerveux, angoissé et stressé, que son sommeil
était médiocre et qu’il ressentait même, assez souvent, une douleur au
creux de l’estomac.
Sur un autre plan, il m’a
appris, avec un petit sourire, qu’il était célibataire, vivait seul et
n’aspirait pour l’instant à rien d’autre. (*)
(*)
J’ai deviné sans peine que sa timidité l’empêchait de s’affirmer sur le
plan sexuel. Rien d’étonnant à cela. J’étais convaincu que le travail
intégral, si nous décidions de l’entreprendre, aurait également un
effet salutaire sur ce plan-là !
Eric s’est finalement rangé à mon avis et nous avons opté pour ce travail complet.
Voir le billet : « Le chant thérapie, un travail vocal intégral ».
Les premiers cours
Ils
ont été consacrés essentiellement aux relaxations afin de réduire au
maximum l’état de tension perpétuel dans lequel vivait Eric. Au tout
début, il eut énormément de mal à se détendre. Il s’agitait et son
corps trouvait un calme relatif seulement en fin d’exercice. Profitant
de ce moment « privilégié », j’essayais alors d’obtenir une respiration
abdominale par les moyens que j’emploie habituellement et qui, en
principe, donnent de bons résultats. Ce fut peine perdue ! Malgré
toutes mes astuces, soit son ventre restait de « pierre », soit
l’inspiration s’inversait ! J’ai finalement essayé un exercice réservé
aux cas plus ou moins « désespérés » ! Voici, en quelques lignes,
comment le réaliser :
- Se mettre à genoux en appui avant sur les bras. La nuque est arrondie, la tête est lourde…
- Souffler bruyamment, à fond, en rentrant l’abdomen le plus possible tout en faisant le « dos rond » : fff <<<
-
Relâcher le ventre tout en conservant l’arrondissement du dos en se
laissant inspirer bruyamment, bouche ouverte. L’abdomen redescend… Ah
>>>
- Souffler de nouveau de la même façon : fff <<<
- Faire cet enchaînement plusieurs fois.
Cet
exercice, bien qu’ayant fait ses preuves, n’a donné avec Eric que de
maigres résultats positifs. J’en ai été tout de même satisfait car…
c’étaient les premiers visibles chez lui !
J’avais
obtenu au moins qu’il découvre que son ventre était susceptible d’avoir
un mouvement… servant la respiration. D’autres exercices ont permis
ensuite d’obtenir ce mouvement abdominal dans d’autres positions :
allongé sur le ventre, assis, penché et finalement debout. Dans cette
dernière position, il eut encore beaucoup de mal… mais, cahin-caha nous
avancions !
Voir des explications plus détaillées dans les billets :
« L’Inhibition abdominale »
« Parler m’épuise complètement »
Progrès
Au
bout de quelques cours, la respiration abdominale est devenue nettement
moins difficile pour Eric. A la fin des relaxations, nous faisions des
séries d’expirations suivies d’inspirations. Plus tard, lorsqu’elles
ont été parfaitement exécutées, j’ai compliqué l’exercice en lui
demandant de contrôler leurs durées respectives.
Par exemple :
Une
expiration bruyante - à débit moyen constant - de 5 secondes (fff
<<<) était suivie d’une inspiration absolument silencieuse,
bouche entrouverte (…) de quatre secondes, puis (toujours pour la même
expiration de cinq secondes) l’inspiration passe à trois, puis à deux,
puis à une seule seconde… Cela donne le rythme : 5/4 5/3 5/2 5/1
« En fait, l’exercice consiste à inspirer silencieusement, de plus en plus vite, la même quantité d’air »
On
peut ensuite augmenter la durée de la première expiration. Par exemple,
si elle est de 10 secondes, le rythme de l’exercice sera alors : 10/9
10/8 10/7, etc.
Un autre exercice intéressant
sera de souffler bruyamment et très vite une bonne partie de sa
provision d’air (en deux ou même une seule seconde) et de récupérer cet
air très lentement (et silencieusement) en trois, quatre, cinq, six
secondes ou plus… Ensuite, faire l’inverse : souffler très lentement
(20 secondes par exemple) et inspirer très rapidement (en trois
secondes par exemple), sans à-coups et sans bruit, par la bouche
entrouverte.
Le but final est d’arriver à se
rendre totalement maître de de sa respiration abdominale afin de
pouvoir à loisir en contrôler le débit. (*)
(*) Je rappelle, car c’est important, que les inspirations doivent être réalisées bouche entrouverte et… sans bruit.
Eric
était assez surpris d’avoir eu tant de mal au début des cours et me
disait maintenant qu’il était facile de respirer ainsi, en se servant
du ventre ! (*)
(*) Notons cependant qu’à cette époque, il était encore loin de réussir parfaitement les exercices que je viens d’indiquer !
Moins de tensions
Au
fil des cours, je constatais que, d’une façon générale, il était moins
tendu. La respiration abdominale, faite journellement (il la pratiquait
aussi le soir, chez lui) favorisait une « décompression » générale ! Ce
progrès m’a permis d’intensifier le travail sur l’accord
pneumo-phonique. Progressivement, nous avons pu réaliser certains sons
en utilisant la voyelle « â ». (*)
(*)
Faibles mais « profonds », ces sons s’apparentent un peu à des râles
(comme décrits dans de nombreux billets) tout en respectant
scrupuleusement l’appui abdominal.
Voir le billet : « j’aimerais avoir une voix plus virile ».
Bientôt,
ils gagnèrent en puissance et de vrais cris remplacèrent
progressivement les râles. Je surveillais drastiquement leur exécution
afin d’éviter tout effort de « gorge » à Eric. Ces cris, pour ne
provoquer aucune tension dans la gorge doivent impérativement trouver
leur appui exactement au « hara », le corps (périnée y compris) étant
totalement relâché. Bien réalisés, ils s’épanouissent sans agresser la
gorge le moins du monde ! (*)
(*) Le cri correct se produit uniquement lorsqu’il s’appuie exactement au hara, sans aucun freinage parasitaire !
Bientôt, Eric a pu crier très fort sans problème particulier et en a été, comme la plupart des élèves, très étonné !
Davantage de vocalisation
A
partir de ce moment, j’ai corsé notre programme de vocalisation qui,
avant ces derniers progrès, se résumait à bien peu de chose ! Nous
avons commencé à faire, à chaque leçon, des exercices simples sur
différentes voyelles (en principe ô/i/é/â). J’étais surpris et amusé de
constater avec quelle joie Eric vocalisait.
Lui
qui n’avait jamais chanté de sa vie le faisait avec une sorte de
délectation. C’était tout nouveau pour lui et il ne pouvait encore
imaginer à quel point cela lui serait bénéfique ! (*)
(*)
J’observais aussi avec plaisir que le petit problème d’oreille que
j’avais détecté au bilan se résolvait peu à peu ! Quant à sa douleur au
creux de l’estomac, elle avait complètement disparue !
La voix parlée
Aucun
miracle n’a eu lieu spontanément ! Seulement, plus détendue et mieux
soutenue, il était indéniable qu’elle acquérait progressivement une
certaine force et une certaine rondeur ! Lui-même s’en apercevait et,
ravi, me disait parfois :
« Ma voix, elle-aussi, semble se détendre ! »
Tout se déroulait comme je l’avais espéré !
D’une
part, sa meilleure détente générale favorisait une position laryngée
moins crispée, plus naturelle. Son timbre en bénéficiait et, de ce
fait, gagnait tout naturellement en harmoniques graves… et s’en
trouvait plus moelleux. D’autre part, son appui mieux placé et sa gorge
plus ouverte l’incitaient à parler sensiblement moins vite et à mieux
articuler ! De ce fait, son discours était mieux perçu sans lui coûter
d’efforts supplémentaires ! (*)
(*)
Bien que tout cela soit parfaitement logique, ces progrès très rapides
m’enchantaient et m’étonnaient à la fois. Il n’y avait pourtant aucune
magie là-dedans. Seulement un peu de technique de base !
Voir le billet : « La technique vocale de base ».
La gymnastique vocale
Le
moment était venu de la lui enseigner. Je l’ai fait progressivement et
le résultat a été au rendez-vous. Elle lui a permis de peaufiner nos
progrès. L’articulation large qui est l’une de ses caractéristiques a
fait merveille ! Eric a pu ainsi – entre autres - prendre conscience de
son appareil articulatoire et continuer à le tonifier et à l’assouplir.
Voir des détails dans le billet : « l’articulation dans le chant ».
Une fable
Elle
était la suite logique de notre travail. J’ai choisi « La laitière et
le pot au lait », une fable de « La Fontaine » que j’aime beaucoup.
Eric s’est beaucoup amusé à réciter ce texte très vivant. Il prenait
visiblement beaucoup de plaisir à s’entendre parler avec une voix qui
(il est facile de le deviner) le comblait de plus en plus !
En
effet, elle avait beaucoup changé ! Plus grave, plus forte et surtout
plus harmonieuse, elle s’accordait de mieux en mieux à son propriétaire
! Eric avait enfin une voix correspondant à son physique. Nous
enregistrions chacune de ses « prestations » parlées. Il se rendait
ainsi exactement compte de ses progrès et sa confiance en lui se
renforçait de cours en cours !
« En fait, il avait conscience de devenir progressivement lui-même ! »
Les chansons enfantines
Chose
impensable il y a quelque temps de là, je lui ai demandé, pour
peaufiner notre acquis… de chanter. Il a été d’accord pour essayer !
Nous avons choisi quelques chansons enfantines afin de lui mettre le «
pied » à l’étrier ! Cela a fonctionné au-delà de mes espérances !
Chaque
cours se terminait désormais par un petit « spectacle » dont fables
(nous en savions maintenant trois) et chansons enfantines (Au clair de
la lune ; Il était une bergère ; La mère Michel, etc.) constituaient le
programme !
Epilogue
La rééducation d’Eric avait duré un an tout juste. Il me rend encore visite quelquefois. Ses ennuis ne sont pas réapparus !
A bientôt ?
Pour consulter la liste d’archives des billets, c’est ici !

Jean Laforêt