Chronique du Dimanche 20 mai 2012
Je voudrais devenir ténor
Benjamin A. (Vingt ans - Contre-ténor-sopraniste)
Bonjour monsieur,
Sachez avant tout que votre site m'absorbe totalement depuis environ une semaine, je le trouve vraiment remarquable !
Alors
voilà ! Pour faire très court, j'ai 20 ans et je pratique le chant
lyrique depuis 2 ans en tant que contre-ténor-sopraniste. Je
souhaiterais, pour plusieurs raisons, me réorienter vers la voix de
ténor. Je préférerais vous détailler la complexité de la situation à
l'oral car je ne manie pas aussi bien que vous l'art de résumer les
situations en peu de mots… Etant étudiant - ainsi que salarié - mon
planning est plutôt chargé ! Cependant mes après-midi du mercredi,
jeudi et vendredi (jusqu’à 16h environ) sont libres.
Dans
l'attente de vous rencontrer, je vous adresse mes sincères
félicitations pour votre carrière et, bien sûr pour votre site. Bien à
vous. Je suis joignable au (x).
Benjamin
Ma réponse
Benjamin,
Merci
de votre mail dont je viens de prendre connaissance. Je suis heureux
que mes billets vous servent… c'est le but ! Je vous appellerai lundi
afin que nous puissions prendre rendez-vous pour un bilan vocal. Bien
cordialement.
Jean Laforêt
Bilan vocal
J’ai reçu Benjamin huit jours après cet échange de mails.
Benjamin
est grand et mince. Dès que je l’ai aperçu et, a fortiori, aux
premières paroles échangées, j’ai été frappé par l’aisance naturelle et
la noblesse innée qui émanent de ce tout jeune homme. De grands yeux
noisette, intelligents, expressifs et rieurs, animent un visage fin et
racé encadré de longs cheveux d’un noir de jais ! Sa voix est claire,
sa parole est nette et ses mots sont choisis.
Physiquement,
il possède déjà l’allure du comte Almaviva (Le barbier de Séville de
Rossini) rôle qu’il rêve certainement d’incarner un jour ! Il me
confiera peu après que, petit garçon, il avait pratiqué la danse… ceci
éclaire peut-être cela ?
Au cours de la
conversation qui a suivi, il m’a confirmé que, bien que chantant depuis
deux ans les contre-ténors avec une certaine réussite, il avait
maintenant un désir profond d’employer sa voix pleine et de s’affirmer
dans le répertoire de ténor. Il adore Mahler, les lieds allemands, les
cantates de Bach… et le Bel canto ! Tout un programme ! (*)
(*) En fait, il est venu vers moi pour que je l’aide à accomplir cette délicate « mutation » !
Tests vocaux
Réalisés
torse nu et ventre libre, ils ont consisté essentiellement en divers
exercices en voix pleine. Nous avons parcouru facilement un ambitus
compris entre si1 et fa3. Benjamin chante parfaitement juste. Sa voix
est jolie, claire et bien timbrée. En outre, son oreille est
excellente, ce qui est très appréciable ! Son médium est assez « corsé
» !
J’ai remarqué chez lui une propension à
laisser « tomber » le sternum pendant le chant. Cela signifie une
mauvaise tenue dorsale affectant directement la régulation du souffle.
La statique sera donc à rectifier et à surveiller de près.
Plus embêtant :
Son
larynx monte beaucoup dès mi3 et sa respiration est costale-haute. Ces
deux défauts techniques, souvent très difficiles à rectifier, sont
incompatibles avec une bonne émission en voix pleine. Ils devront être
corrigés en priorité ! D’autre part, il serre ses « i » et ses « é »…
mais cela est très commun et facilement remédiable.
Indépendamment
du côté purement vocal, j’ai nettement perçu chez lui (et cela me fut
confirmé plus tard par l’intéressé) une certaine nervosité « interne »
qu’il sera utile de réduire au maximum pour obtenir un bon résultat
vocal.
Après avoir commenté longuement ce
bilan, nous avons choisi d’entreprendre un « cours vocal intégral »
afin d’éliminer les défauts énumérés ci-dessus et de construire au
mieux sa future technique !
Voir le billet : « Le chant thérapie, un cours vocal intégral »
Les premiers cours
Ils ont tout de suite révélé un garçon extrêmement doué.
Benjamin
m’a fait part, juste après notre première relaxation, de sa surprise de
se sentir aussi bien. Comme la plupart des élèves, cet exercice lui
avait fait prendre conscience des tensions qu’il véhiculait !
Le
taïchi en position allongée qui a suivi a été essentiellement consacré
à la respiration et aux appuis du souffle. Je pensais ne pouvoir
qu’esquisser ce travail « d’appui dynamique » pendant cette première
leçon. Or, étant donné la compréhension et le ressenti exceptionnels de
mon futur ténor, nous l’avons non seulement amorcé mais… réussi assez
correctement. (*)
(*)
Je sais par expérience que ce geste n’est pas facile à intégrer surtout
que, ne l’oublions pas, Benjamin pratiquait depuis deux ans une
respiration costale-haute.
Cependant, il y était parvenu !
Cela
est excessivement rare car on peut très bien « intégrer mentalement »
un geste sans pouvoir le « réaliser » physiquement ! (*)
(*)
On aura compris que je ne parle pas seulement ici de respirer
profondément et de savoir « arrêter » son souffle avant une attaque (ce
qui aurait été déjà bien) mais de la façon correcte de « réguler » son
débit expiratoire pour le chant lui-même… avec reprises dynamiques plus
ou moins espacées !
L’appui dynamique du souffle, comment procéder…
La
meilleure façon, à mon avis, est de le travailler tout d’abord allongé
sur le dos, sur un plan relativement ferme… votre lit serait sans doute
trop confortable pour cela. Ayez le moins de vêtements possible… votre
corps doit être « complètement » libre !
1) Dans un premier temps, relaxez-vous entièrement… Sentez vos membres devenir mous et lourds…
2) Prenez conscience de votre respiration abdominale…
3) Respirez profondément et amplement, plusieurs fois sans forcer ni troubler l’état de relaxation.
Pour préparer l’exercice proprement dit :
1) Prenez une inspiration abdominale moyenne (votre ventre se gonfle un peu). Gardez-là, souffle arrêté… non bloqué !
2) Appliquez votre poing, en légère pression, dans le creux de l’épigastre (en haut de l’estomac).
3) Expulsez bruyamment votre souffle « abdominal », les lèvres étant rapprochées : fff <<<
Pendant cette opération, vous devez sentir que votre poing est poussé vers le haut !
4)
L’expiration étant terminée, « laissez-vous inspirer » doucement,
bouche grande ouverte, en laissant se produire un â « inspiratoire »
bruyant : >> Ah
Cette « inspiration réflexe
» provoque une légère descente de votre poing (cette « descente » est
due à la dépression inspiratoire que l’on crée obligatoirement pour
laisser entrer l’air). Il remontera ensuite immédiatement pour préparer
l’expiration suivante.
Faire et refaire plusieurs fois correctement cet enchaînement expiration/inspiration est capital !
Puis,
il faudra réussir le mouvement ci-dessus (souffle seul) en position
verticale et, seulement après, le réaliser avec la voix !
L’essai sonorisé…
Au
tout début, remplacez l’expiration fff <<< par des â
<<< chantés, en vous assurant que votre poing est bien
repoussé à chaque production vocale (â <<<) et qu’il « rentre
» à chaque inspiration réflexe :
- Sur un tempo lent, faites d’abord des noires, puis des blanches, puis des rondes ! (*)
(*)
Choisir des tonalités aisées dans le médium de la voix. Plus les tenues
seront longues, mieux vous sentirez physiquement le geste inspiratoire
qui suivra !
Si le mouvement est réussi, vous obtiendrez un « appui dynamique » parfaitement adapté au chant… qu’il soit lyrique ou non !
L’inspiration
ainsi effectuée est à la fois abdominale, costale et… dorsale et
l’expiration « sonore » qui la suit (après une légère suspension du
souffle), parfaitement maîtrisée. L’exercice-roi pour travailler ce
geste essentiel est la « Messa di voce ». Pratiqué dans les règles, il
est l’exercice le plus difficile (mais aussi le plus payant) que je
connaisse !
Voir le billet : « Le cours de technique vocale type »
La montée du larynx chez Benjamin
Pour
corriger ce défaut, je lui ai d’abord simplement indiqué que sa gorge
devait rester « ouverte » pendant l’émission vocale.
L’exercice
pratique qui a suivi a consisté à poser un doigt au-dessus de son
larynx puis d’avaler sa salive. Il a ainsi pu observer que la
déglutition le faisait monter !
Ensuite, je
l’ai prié d’inspirer bouche ouverte, très doucement et sans bruit tout
en écartant souplement ses piliers (pour simplifier : les amygdales).
Après qu’il ait constaté que son larynx s’abaissait pendant cette opération, je lui ai dit :
- C’est la position qu’il doit prendre lorsque tu t’apprêtes à chanter.
- En fait, on attaque le son en position inspiratoire ?
-
Tout à fait. Suivant les voyelles, le larynx est plus ou moins haut à
ce moment-là, mais sa position « générale » de chant est celle-ci.
- Ç’est ce qu’on appelle « chanter en gardant la gorge ouverte » ?
-
Exactement ! Elle doit rester ouverte… mais très souplement ! On ne
doit en aucun cas la contracter à l’attaque du son… ni ensuite !
Pour des précisions, voir les billets :
« Quelle est la position idéale du larynx dans la voix chantée ? ».
« Précision sur l’article : Quelle est la position idéale du larynx dans la voix chantée ? »
Premier exercice d’application en voix chantée
Nous
avons travaillé sur « â », d’abord sur des sons détachés, puis avec des
quintes ascendantes. Nous commencions dans le médium-grave, en
appliquant strictement le geste de l’appui dynamique décrit plus haut.
Pendant ces exercices, Benjamin réussit cahin-caha à maintenir son
larynx en bonne position… (*)
(*)
Je lui avais seulement demandé d’essayer d’appliquer ce que je venais
de lui expliquer : ouvrir sa gorge tout en inspirant, et, en conservant
cette ouverture, d’attaquer le « â » en le dirigeant vers le creux du
palais dur.
Comme toujours, avec ce
garçon hyper-doué, cela a fonctionné au-delà de mes espérances. En fin
de séance, nous sommes même parvenus à chanter des fa#3 sans ascension
laryngée anormale, avec des sons relativement sonores !
Or, quatre leçons avant, un mi3, provoquait une constriction pharyngée et une ascension du larynx !
J’ai rarement rencontré d’aussi grandes facilités chez un élève (*)
(*)
Pour l’aider aux approches de l’aigu, j’avais seulement insisté sur un
léger fléchissement des genoux afin de faciliter l’enracinement du son !
Voir de nombreuses explications à ce sujet dans le billet :
« Comment sortir mes aigus ? »
Gros progrès… Messa di voce sur « â »
Pourquoi
attendre ? Dès les cours suivants, j’ai commencé à lui faire travailler
la « Messa di voce » sur « â ». Après de simples petits ajustements,
Benjamin a parfaitement appliqué, sur cet exercice très difficile, la
technique « d’appui dynamique » travaillée au tout début de nos leçons.
De très bons résultats ont immédiatement été enregistrés.
Pour
ce premier contact avec cet exercice, notre ambitus de travail fut
environ si1/mi3 : la voix « tenait » très bien dans le crescendo et
dans le decrescendo qui suivait (ce qui est particulièrement
difficile). (*)
(*)
Je devais même freiner un peu les ardeurs de mon chanteur qui avait
tendance à amplifier le forte un peu trop généreusement !
L’exercice de « Messa di voce » est expliqué en détail dans le billet (déjà cité) :
« Le cours de technique vocale type ».
Desserrement des « i » et des « é »
Avec Benjamin, ce fut un jeu d’enfants !
Je
lui ai fait chanter assez lentement, bouche entrouverte de la largeur
de deux doigts environ, une modulation : « â é â é â é â ».
Nous
avons très facilement parcouru l’ambitus mi2/mi3 en conservant une
ouverture de bouche moyenne, sans jamais resserrer la gorge ! (*)
(*) Il faut également, tout en respectant l’ouverture de bouche, réaliser l’exercice dans une amorce de bâillement.
Voir les billets :
« La position de la langue dans le chant »
« Le rôle de la langue dans l’émission vocale »
La gymnastique vocale
Avant de le lancer dans une vocalisation en voix pleine plus soutenue, j’ai décidé de lui en enseigner tous les mouvements.
Elle
renforcerait sa jeune musculature vocale ainsi que son amplitude
respiratoire et constituerait ensuite pour nous un échauffement de
qualité !
Voir le billet : « L’articulation dans le chant ».
Bémol :
Chose
surprenante, Benjamin a mis beaucoup de temps à s’approprier cette
gymnastique. Quatre cours ont été nécessaires pour l’intégrer de façon
correcte. (*)
(*) Pour lui qui comprenait et réalisait tout très rapidement, il s’agissait là d’un record auquel il ne m’avait pas habitué !
Cependant,
peu de temps après, il est arrivé au cours en me disant tout excité
qu’il avait travaillé les mouvements de gymnastique chez lui et s’était
rendu compte de leur très grand intérêt. Il avait constaté qu’ils
facilitaient de façon très sensible l’amplitude « équilibrée » de sa
respiration et rendaient sa voix plus tonique ! (*)
(*)
En effet, une respiration de chant correcte doit être à la fois
abdominale, costale et dorsale. La gymnastique vocale, dont plusieurs
mouvements se font en position penchée, favorise grandement cela ! La
voix s’en trouve automatiquement plus équilibrée et renforcée, même si
l’on ne possède pas encore une technique très élaborée.
La couverture dynamique
Elle a été réussie pour la première fois sur « â », quelque temps près, à la fin d’une leçon.
Ce
jour-là, nous avions spécialement travaillé, en plus de la gymnastique
vocale, la modulation â_é. Cette modulation, exécutée sous plusieurs
formes (tenues, quintes ascendantes, arpèges) permet, si elle est
correctement faite, de garder la gorge ouverte dans un ambitus couvrant
le bas-médium, le médium et le haut-médium (pour Benjamin, environ de
si1 à mi3). (*)
(*)
Elle doit être chantée avec une ouverture de bouche de la largeur de
deux doigts environ, accompagnée - dès le médium - d’un bâillement «
réprimé », de façon à garder au son toute sa hauteur et sa rondeur…
Après
que Benjamin ait réussi ces exercices de modulation â_é plusieurs fois
(y compris sur des arpèges d’accords de quintes dans le haut-médium),
je lui ai demandé, dans la foulée, d’essayer avec « â » seul.
Il obtint un résultat au-delà de mes espérances !
Ce
jour-là, un la3 fut atteint avec une bonne couverture dynamique. Mis en
condition par les modulations qui avaient précédé… et pendant
lesquelles j’avais bien sûr affiné son enracinement, Benjamin envoya
son aigu dans la plus pure tradition italienne. Le « retour du son »
dans le masque n’était bien évidemment pas encore parfait mais la
dynamique du bâillement avait été bien réalisée !
Voir le billet : « Le bâillement technique du chanteur »
Le retour du son aigu dans le masque
La
sensation de « retour du son » - je parle bien sûr d’un son situé
au-dessus du second passage - est la conséquence de sa projection après
qu’il ait été « élaboré » par la couverture dynamique. (*)
(*)
Il ne faut donc jamais diriger le son aigu « directement » vers le
masque ! C’est son « retour » qui sera « réceptionné » et « amplifié »
par celui-ci !
Le chanteur pratiquant
correctement ce geste a le sentiment que sa voix - en régime aigu,
au-dessus du deuxième passage -, après être descendue très profondément
en direction du périnée (comme si on avalait la sonorité), rejaillit…
pour aller vibrer à travers le masque… très loin dans les salles ! (*)
(*)
En fait, c’est « l’appui vocal » que l’on sent descendre mais, penser à
la voix elle-même améliore énormément le résultat ; la notion
d’avalement éclaire ce geste car, chacun le sait, lorsque l’on « avale
», la gorge est ouverte !
Le but technique ultime
est d’obtenir de cette façon la projection de modulations telles que «
â é i ô u i » ou, dans les grands aigus, « i ou o a è » ! Signalons
aussi que, dans le chant proprement dit, les consonnes ne devront
jamais « gêner » cette projection !
C’est un autre problème…
Petite stagnation
Pendant
un certain temps, Benjamin a eu du mal à retrouver ses belles
sensations dans l’aigu. Les notes « tournaient » mal et les « canards »
étaient parfois au rendez-vous ! Cela ne dura heureusement pas. Un
jour, il me dit en arrivant :
- J’ai trouvé pourquoi ça passait mal !
- Ah bien ! C’était ton appui ?
- Exactement, je bloquais trop mon ventre !
-
Je l’aurais juré… Je t’avais dit que le souffle devait être arrêté et
maintenu souplement en « ouverture des basses côtes » et jamais en
contraction « fermée » des abdominaux…
- Bien sûr, mais…
-
Verrouiller trop fort son ventre « sur une ouverture abdominale
insuffisante » est la meilleure façon de rater un aigu. Soit, il sort…
très étriqué, soit il craque ! Il faut toujours penser que l’appui du
son aigu doit pouvoir descendre jusqu’au périnée… C’est seulement de
cette façon que la voix pourra ensuite jaillir normalement, sans aucune
contrainte !
- Je crois que, cette fois-ci, j’ai compris !
Les grands aigus
Oui, Benjamin avait compris.
Il
me le prouva dès le cours suivant en réussissant des si3 sur « â »,
très bien émis en voix pleine ! Il s’agissait bien sûr de sons encore
non tenus mais empruntant la bonne direction. Il faudrait maintenant
fortifier « souplement » sa jeune émission pour assurer des progrès
durables.
Une voix se travaille dans la souplesse !
Fausset
Parallèlement
à ce qui précède, nous travaillions la voix de fausset. Benjamin,
lorsqu’il chantait les contre-ténors, employait constamment cette
émission qui était alors très facile pour lui. Il m’avait dit l’avoir
un peu « perdue ». Ce jour-là, subodorant que cette voix n’était «
qu’endormie », je lui avais demandé d’essayer de réaliser des crescendo
suivi de decrescendo sur la voyelle « i » que nous étions en train de
travailler.
Cet essai fut un coup de maître :
il réussit sur cette voyelle « i » de magnifiques sons filés très
homogènes et très consistants de la2 à ré4 ! Le fausset sur « â »,
essayé juste après, connu le même succès !
Benjamin
fut assez surpris de ce résultat car il m’avait assuré à plusieurs
reprises avoir perdu la maîtrise de ces sonorités. Aujourd’hui, non
seulement elles étaient réussies, mais bien plus puissantes
qu’auparavant. (*)
(*) Je lui ai expliqué que cela était tout simplement dû à un meilleur positionnement laryngé !
Très étonné et aussi très content, il m’a avoué :
- Je pensais ne jamais plus y arriver !
- Il est certain que tes progrès généraux sont à la base de cette renaissance… tu ne crois pas ?
- Sûrement ! Mes appuis et mon ouverture de gorge sont meilleurs.
-
Eh oui ! Ton larynx est maintenant en bonne place. Tu vois… tu auras
encore cette corde-là à ton arc ! Tu seras un ténor archi-complet !
Voix mixte
Cette
émission retenait aussi toute notre attention. Mon but était
naturellement de lui faire découvrir et travailler la « voix mixte
appuyée », très appréciable complément à toute voix de ténor qui se
respecte !
Voir le billet : « La voix mixte appuyée »
A
ce sujet, j’ai provoqué un petit miracle lorsque je lui ai demandé de
faire – tout comme pour le fausset - un crescendo sur des aigus mixés.
Comme support, je me suis servi d’un arpège d’accord parfait comportant
un point d’orgue sur la note aiguë (en do majeur : do/mi/sol/do
<<<). J’avais dit à Benjamin :
- Avec un
crescendo sur la note aiguë, nous verrons ce que ta voix mixte a dans
le ventre ! Pars d’un son très piano et renforce-le au maximum… mais
attention, sans sortir de l’émission mixée !
- OK ! (*)
(*)
Notons que Benjamin faisait parfaitement la différence entre fausset et
voix mixte (ce qui n’est pas le cas de tous les élèves au début des
études, surtout dans les grands aigus) et qu’il émettait déjà, pas très
fort mais relativement facilement, des sons mixés !
Nous
avons travaillé ces arpèges d’accords parfaits, avec tenue sur la note
aiguë, sur « â », en commençant sur fa2. Cela donnait donc fa2 la2 do3
fa3 (le fa3 étant pris piano puis amplifié dans un crescendo < ).
Benjamin
a réussi presque immédiatement ce travail délicat en produisant de
beaux sol3 mixés… puis la3, puis sib3 ! Les sons obtenus, bien que
moyennement forts, restaient incontestablement en voix mixte ! Le
temps, et un travail bien ciblé, leur donnerait leur vraie couleur
ainsi que la force et la rondeur qui leur manquaient encore !
J’étais
aux anges et… lui aussi ! Ce garçon était décidément extrêmement doué
et avait de remarquables possibilités. De plus, étant donné la
pérennité de sa forme vocale, j’étais persuadé qu’il n’abusait pas de
nos trouvailles lorsqu’il chantait seul…
Un jour de gros progrès
Peu
de temps après ce cours faste, Benjamin arriva très excité en me disant
qu’il avait réussi à chanter facilement des sons très forts en voix
mixte… jusqu’au contre-ut, précisa-t-il ! Nous avons bien sûr
copieusement parlé de sa merveilleuse « trouvaille » mais, bien qu’il
ait certainement souhaité me la faire découvrir tout de suite, j’ai
conservé l’ordre dans lequel nous faisions nos exercices… il attendrait
un peu pour m’éblouir !
Le cours se déroula donc
dans l’ordre ! Ce jour-là, lors du taïchi vocal, réalisé allongé dans
diverses positions, j’ai de nouveau constaté avec plaisir que sa voix
pleine était puissante et bien timbrée, sans aucune faiblesse dans le
médium et haut médium. (*)
(*) Cette voix prenait incontestablement beaucoup de consistance et d’éclat, c’était un excellent signe !
Lorsque
nous avons « enfin » abordé les exercices en voix mixte - que Benjamin
attendait avec impatience - il eut énormément de mal à retrouver ce
qu’il avait ressenti seul, chez lui. Il a néanmoins réussi quelques
sons, notamment sur « â » avec une voix très légère qui n’était pas du
fausset mais dont il ne pouvait obtenir aucun crescendo vraiment
valable…
- Ce n’est pas cette voix que j’avais trouvée…
- Patience !
De l’importance de l’Appoggio
Comme
il s’excitait un peu sur ce qu’il ressentait comme un « échec », j’ai
contourné momentanément l’obstacle en lui faisant chanter nos exercices
habituels en voix pleine (notamment des modulations â_é) qui,
normalement ne venaient qu’ensuite !
A cette
série de modulations « structurantes », très bien réussies comme
toujours, ont succédé des arpèges d’accords de quintes (lents) chantés
uniquement sur « â », par demi-tons, depuis le haut-médium (la2
approximativement) ; ils aboutirent rapidement à des sol#3, la3 et sib3
superbement émis grâce à une connexion « appui et voile souple »
parfaite ». Ce jour-là, le ciel était du côté de Benjamin ! (*)
(*) Pour employer un terme précis, ces sons bénéficiaient d’un parfait « appoggio ».
Ce
mot italien ne signifie pas seulement « appui » abdominal mais concerne
également la sensation d’un « point d’appui vocal » ressentie par le
chanteur. Par extension, il désigne une relation équilibrée entre
l’appui du souffle et ce point d’appui vocal. Pour le chanteur,
maintenir constamment ce « double contact » est primordial ! Il est le
garant d’une émission haute, d’une voix souple, sonore et surtout,
parfaitement contrôlée !
Au sujet de l’appoggio, voir certaines précisions dans le billet :
« Respiration et Appui vocal »
Profitant
de cet état de grâce, j’ai multiplié les exercices pour fixer au mieux
ce « geste ». Bientôt, les si3 et même les contre-ut furent émis ainsi
relativement facilement, y compris sur des tenues assez courtes (trois
secondes environ) ! (*)
(*)
J’ai tout de suite su que Benjamin venait de découvrir une voix mixte
appuyée… Les si3 et les contre-ut relativement puissants qu’il émettait
facilement - sans être en voix pleine - signaient cette émission !
Euréka !
Le cours suivant cette mémorable leçon, Benjamin arriva en me disant :
- Cette fois, ça y est, j’ai ma voix mixte !
- Comme l’autre jour ?
- Oui, mais en bien mieux, tu vas voir !
- Super, j’ai hâte !
Il
me prouva quelques minutes après qu’il n’avait pas menti. Il pouvait
effectivement prendre dès le médium une émission mixte tout à fait
authentique qu’il « prolongeait » sans aucune « cassure » jusqu’au
contre ré4 ! Cette fois, nous y étions !
Cette voix, relativement puissante, possédait une élasticité remarquable permettant les nuances les plus subtiles ! (*)
(*) Benjamin m’en fit sur l’instant la démonstration : il pouvait faire à loisir maints crescendo et decrescendo… !
C’était
un progrès considérable, fruit de notre travail en amont ! Il nous
suffirait maintenant de continuer à unifier sa tessiture en la
tonifiant, afin de peaufiner la zone de transition des deux émissions.
Avec un tel élève, je ne pense pas que ce travail-là soit très difficile…
Benjamin
tient désormais incontestablement le « bon bout » ! Les cours suivants
devront bien sûr confirmer et renforcer cet acquis… mais je n’ai aucun
doute sur la réussite de notre entreprise !
Ce même jour, nous avons décidé de commencer à travailler techniquement certains morceaux convenant à son type de voix.
«
Dalla sua pace » l’air de Don Ottavio, extrait de Don Giovanni (Mozart)
fut retenu pour servir de « première pierre » au répertoire « de ténor
» de Benjamin…
Une page est tournée… mais l’aventure continue pour nous !
A bientôt ?
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Jean Laforêt