Chronique du 01 novembre 2012
Voix et périnée
Aurélien Z. (26 ans - Etudiant en chant lyrique)
Bonjour
monsieur. J’ai 26 ans, je suis baryton et élève au conservatoire de
(x). C’est Patrick L., un de vos élèves qui m’a donné l’adresse de
votre site. J’ai lu beaucoup de vos billets pour tenter d’y découvrir
un début de solution à mon problème dont j’aimerais vous parler en
direct. Je suis joignable au (x). Bien à vous. Aurélien
Ma réponse
Bonsoir
Aurélien. Je vous appellerai demain pour que nous puissions convenir
d’un rendez-vous pour un bilan vocal. J’espère qu’il nous fournira les
renseignements indispensables pour résoudre « l’énigme » qui vous tient
à cœur.
Bien cordialement. Jean Laforêt
Bilan vocal d’Aurélien
J’ai
reçu Aurélien un soir de la semaine suivante. C’est un grand garçon
souriant dont le regard bleu, très intense, éclaire un visage
volontaire, encadré de cheveux mi-longs, d’un noir de jais. Tout en lui
signe un caractère bien trempé !
J’ai senti qu’il
avait hâte de me parler de « l’énigme vocale » qui le tracassait mais,
ô surprise, une fois assis confortablement, il me dit tout d’abord ne
pas avoir de problème vraiment particulier. Il ajoute que sa voix lui
convient et que ses études au conservatoire se déroulent au mieux.
Vocalement parlant, il se décrit comme très résistant, ne se fatiguant
pour ainsi dire jamais ! Devant mon regard, à la fois amusé et de plus
en plus interrogateur, il en vint enfin au cœur de son problème : à
savoir que, bien que rien de vraiment spécial ne la perturbe, il trouve
que sa voix est souvent comme bridée, freinée, sans qu’il puisse
s’expliquer pourquoi !
- Je chante et je sens
bien que je ne suis pas au bout de mes possibilités, que, souvent,
quelque chose m’empêche d’aller plus loin, de m’exprimer plus
complètement…
- C’est ce que tu appelles un frein ?
-
Oui ! C’est comme si je sentais que j’ai un potentiel que je n’arrive
pas à exploiter. Exactement comme le moteur d’une voiture qui, bridé,
lui empêcherait d’atteindre son plein rendement !
- Nous allons voir ça. Quelques exercices nous éclaireront peut-être !
Les tests
Torse
nu et ventre libre, Aurélien, après avoir pris une note sur le piano,
me chanta une partie de « Avant de quitter ces lieux », l’air de
Valentin, extrait du Faust de Gounod.
La voix
était belle et relativement ample. Tout d’abord, techniquement parlant,
je n’ai pas décelé d’erreurs vraiment grossières. Seuls, quelques
petits ajustements techniques m’ont semblé nécessaires. Cependant, à
l’écoute du premier sol3 (un bel aigu de baryton…), je me suis aperçu
que j’avais déduit trop vite. En effet, cet aigu n’atteignait pas
l’ampleur que l’on était en droit d’en attendre, compte tenu de
l’émission relativement correcte d’Aurélien. (*)
(*)
En aucune façon, il ne s’agissait d’un mauvais geste vocal. Ce «
blocage » était d’une nature beaucoup plus subtile, dont j’ai eu tout
de suite une petite idée.
Pour « vérifier
» ce premier « diagnostic », j’ai demandé à Aurélien d’appeler très
fort quelqu’un qui aurait été situé loin de lui ! Il cria fort et… haut
! Là, comme je m’y attendais, aucun « blocage » n’eut lieu. Le cri –
reflexe - était clair et puissant !
Cela
confirma sans équivoque ma première impression quant à la nature du
problème qui nous occupait. Il s’agissait, presque à coup sûr, d’une
contraction du périnée au moment de lancer l’aigu ! J’avais déjà dû
faire face à ce genre de situation plusieurs fois ! L’ennui, avec ce
type de difficulté, est qu’il ne suffit pas de la détecter mais qu’une
rééducation pointue est nécessaire afin de « casser » le mauvais
réflexe, souvent très ancré !
Décision de travail
J’ai
expliqué cela à Aurélien qui était à mille lieues de se douter que son
périnée pouvait lui jouer un tel tour ! J’ai ajouté qu’il lui faudrait
apprendre à chanter son aigu sans qu’aucun serrage de cette zone
n’intervienne et que, pour cela, un taïchi vocal très pointu serait
nécessaire (il en est toujours ainsi lorsque ce problème est installé
depuis longtemps). (*)
(*)
Le chant est un cri contrôlé. Dans le cas d’Aurélien, reprendre cet
aspect fondamental de l’émission vocale (le cri) était indispensable.
Ce retour aux sources était le moyen le plus sûr de venir assez
rapidement à bout du mauvais réflexe qui était installé : à savoir une
contraction du périnée qui précédait chaque effort vocal et dont la
conséquence immédiate était de limiter l’épanouissement de sa voix.
Pour
parler plus simplement, il devrait apprendre à « contrôler » un cri
spontané (donc correct) à l’aide de divers exercices sans qu’aucune
contraction du périnée n’intervienne.
Nous avons
opté pour un « travail vocal intégral », seul moyen d’évacuer
complètement et assez rapidement ce mauvais réflexe. Sa voix s’en
trouverait considérablement améliorée… elle en valait la peine !
Voir le billet : "Le chant thérapie, un travail vocal intégral "
Les premiers cours
Aurélien,
désireux « d’oublier » au plus vite son problème, a coopéré à 100%. Les
premières séances ont surtout consisté en des relaxations afin de
forger son ressenti sur ce qu’est un corps « complètement » détendu.
Bientôt,
en plus du relâchement général induit par la relaxation elle-même, je
lui ai appris – pour attaquer de front notre problème principal - à
détendre séparément chacune des parties de son corps, y compris… le
périnée.
L’explication de cet exercice figure dans le billet :
« Périnée et projection vocale »
Cette
phase du cours a également mis en relief de nombreuses tensions
(notamment abdominales) qui, jusque-là, étaient passées inaperçues,
même pour moi. En effet, pendant le bilan, rien ne m’avait spécialement
alerté sur ce point précis et je n’aurais jamais imaginé que ce garçon
soit aussi tendu… de l’intérieur !
Il s’est bien entendu rendu compte de tout cela en même temps que moi et sa motivation a redoublé !
Respiration profonde et « cris »…
Avec
nos séances de relaxation et de taïchi, Aurélien a vu sa respiration
profonde s’améliorer de façon très sensible. Il se servait déjà
auparavant du souffle abdominal mais la respiration qu’il était en
train de s’approprier était de bien meilleure « qualité » ! (*)
(*)
Un corps parfaitement détendu respire d’une façon infiniment plus
ample. L’inspiration notamment, sans aucun effort, est beaucoup plus
complète…
Ces progrès respiratoires étant
acquis, j’ai travaillé avec lui tout un éventail de cris divers, allant
du « râle » à la « sirène » en passant parfois par des cris très forts.
La condition « sine qua non » à respecter étant qu’il ne contracte
jamais son périnée. Au début, cela a été assez difficile… le bon vieux
réflexe revenait sans cesse, freinant l’expansion vocale. Cependant,
petit à petit, il a pu réaliser consciemment des sons assez forts sans
aucun serrage. C’était un début prometteur mais il faudrait affirmer ce
progrès dans une « vraie » vocalisation ! La partie ne faisait que
commencer !
Voir des précisions sur ce travail dans les billets :
« La technique vocale fondamentale »
« Les fondamentaux de la technique vocale »
Souvent,
lorsqu’il réussissait bien un cri, il me disait avoir l’impression
qu’il lui manquait un appui. Je lui expliquais alors que le prétendu «
appui » qui semblait lui faire défaut à ce moment-là était justement…
la contraction qu’il fallait qu’il évite à tout prix et que, donc, tout
était pour le mieux… (*)
(*) Cette sensation de manque s’évanouirait bientôt pour faire place à des ressentis autrement souhaitables !
La gymnastique vocale
Il
en a très vite intégré tous les mouvements. Elle a été un des moyens
pour Aurélien d’oublier un peu son problème en lui permettant, entre
autres, de conforter un bon réflexe de détente. Les exercices qui la
composent n’ont certes pas vocation de s’adresser aux aigus mais
communiquent au corps et… à la voix, la liberté que l’on doit y
retrouver.
Voir des détails de cette gymnastique dans le billet :
« L’articulation dans le chant »
La vocalisation
Elle
a vite donné de bons résultats. Je l’ai abordée avec Aurélien d’une
façon très basique, tout comme je le fais avec des débutants. Il a
accepté en souriant de se prêter à ce petit jeu alors qu’il pratiquait
depuis longtemps des exercices beaucoup plus difficiles !
Naturellement, pendant cette vocalisation, il était indispensable
qu’aucun serrage du périnée ne vienne troubler la fête…
Je
me suis servi pour commencer - comme très souvent - de la voyelle « ô
», ronde, douce et profonde. Avec elle, Aurélien n’eut aucune peine à
chanter correctement des exercices simples compris dans l’ambitus
(si1/ré3). Pour faciliter les choses, je lui avais demandé – au tout
début – de vocaliser genoux fléchis. De cette façon on facilite
énormément l’ancrage au sol.
Voir des détails sur l’ancrage dans le billet : « Comment sortir mes aigus ».
L’enracinement de la voyelle « i »
Cet exercice a été déterminant.
Je
l’avais entrepris seulement après lui avoir fait chanter pendant
quelque temps la modulation â_i sous plusieurs formes, jusque dans le
haut-médium (ré3), afin de prévenir tout serrage de gorge. (*)
(*) Il est en effet assez difficile de serrer sa gorge en chantant legato la modulation « â_i »…
Pour l’enracinement de la voyelle « i », voir de nombreux détails dans les billets :
« La hauteur d’émission vocale »
« Comment améliorer mon souffle »
« Comment rendre ma voix plus performante »
« L’équilibre vocal 2 »
Une fois l’enracinement de « i » réussi, nous sommes passés à « é » (sa cousine germaine), sans grande difficulté.
Les sons filés sur « â »
Un
exercice, très difficile à réaliser correctement, a permis à Aurélien
de faire des progrès que l’on peut qualifier de décisifs !
Il
consistait à chanter, avec la voyelle « â », un point d’orgue « nuancé
» au sommet d’un arpège d’accord parfait lancé assez rapidement (en do
majeur : do mi sol do).
Le point d’orgue (ici,
sur do) devait être abordé avec un « amorti » mezzo-forte en voix
pleine, tout de suite renforcé au maximum, diminué ensuite le plus
possible, puis enflé de nouveau.
Schéma de la tenue : ->-<
Attention :
Dans
cet exercice, le son piano doit rester en voix pleine. De plus, la
tenue doit être assez longue : disons six secondes, partagées
équitablement entre les nuances.
Nous avons
chanté cet exercice dans l’ambitus la2/ré3. Inutile de préciser que,
pour Aurélien, réaliser un piano en voix pleine… sans resserrer son
périnée a constitué une épreuve ! (*)
(*)
En effet, le réflexe que nous avions à gommer - la contraction du
périnée lors d’un effort vocal - était ici très fortement « sollicité »
par la nuance piano. Cet exercice était donc très indiqué dans son cas
mais particulièrement difficile pour lui !
PRATIQUE :
Pour
commencer, je lui ai tout simplement demandé de réaliser une tenue (sur
« â ») en nuance « forte » au sommet de l’arpège. Après moult essais,
il y est parvenu sans serrage du périnée et de beaux sons ont été ainsi
obtenus… jusqu’à ré3 ! (*)
(*)
Au tout début, il avait eu beaucoup de mal à ne pas se contracter,
surtout lorsque nous abordions le haut-médium ! Puis, cahin-caha, il
avait réussi à éviter le problème sur do3, puis ré3…
La zone du deuxième passage sur « â »
Ce
fut un autre obstacle de taille car son problème semblait avoir une
prédilection certaine pour cette partie de la tessiture. (*)
(*)
Mon chanteur avait patiemment entretenue cette contraction pendant des
années… la considérant même comme une aide pour passer son aigu !
Cependant,
en l’occurrence, notre travail en amont s’est révélé payant. Nous
sommes arrivés, relativement aisément, à contourner cette difficulté,
notamment grâce à la technique d’enracinement de « i » et « é » que
nous cernions maintenant de mieux en mieux. (*)
(*)
La position accroupie, genoux fléchis, en nous inspirant fortement des
enracinements de « i » et de « é » précédemment réussis, nous a
beaucoup aidés.
Avec des arpèges rapides,
Aurélien est parvenu assez vite à aborder le régime aigu – sur « â » -
sans aucun serrage. Progressivement ralentis, ces arpèges sont restés
corrects…
Nous avancions bien ! L’exercice de sons filés - que nous poursuivions sans relâche - aussi !
Au
bout de quelque temps, ses progrès constants lui ont permis de réussir
de mieux en mieux un decrescendo suivi d’un crescendo sur le point
d’orgue dans l’ambitus la2/fa3 (donc avec passage en régime aigu)!
L’exercice ->-< était enfin réalisé complètement sur « â »… sans aucune contraction restrictive !
L’aigu en voix pleine dans un morceau
Je
me suis servi pour ce travail du premier aigu de l’air de Valentin
(Faust, de Gounod) qu’Aurélien avait chanté au bilan. Cet aigu, qui
culmine sur « sol3 » est bien amené dans cet air magnifique. Cela ne
signifie en rien qu’il soit facile. De plus, cherchant à bien faire,
mon chanteur avait antérieurement « installé » sur cette progression :
ma_ â_â sœur… (mib3_fa3_sol3_sib2), un maximum de contractions néfastes
!
Grâce à nos progrès techniques, cet air fut
chanté correctement en quelques leçons seulement. Les « sol3 »,
autrefois « contraints », restaient maintenant « ouverts » et
particulièrement éclatants ! (*)
(*)
Le terme « ouverts », pour désigner les notes aiguës, ne signifie pas
ici « plats et blancs » mais simplement « Aperto-Coperto » : larges,
libres et équilibrés, émis sans serrage d’aucune sorte !
Voir le billet : « L’Aperto-Coperto… son approche technique »
Epilogue
Nous
avons continué, Aurélien et moi, à travailler ensemble le temps de bien
fixer ses acquis. Chaque leçon comportait – entre autres - le fameux
exercice de sons filés qui lui avait tant apporté… ainsi que tous ceux
qu’un chanteur professionnel se doit de pratiquer journellement :
Voir à ce sujet le billet : « Le cours de technique vocale type »
A bientôt ?
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Jean Laforêt