Chronique du Dimanche 09 décembre 2012
Les appuis profonds de la voix
Xavier L. (chanteur amateur, 28 ans)
J’ai
28 ans, je suis ingénieur informaticien et chanteur amateur. J’apprécie
énormément vos billets et je suis très intéressé par votre méthode
d’enseignement. Je souhaiterais avoir votre sentiment sur ma voix et,
le cas échéant, la travailler avec vous. On la dit intéressante mais
j’aimerais avoir votre avis. Je ne souhaite pas faire une carrière mais
bien chanter m’intéresserait ! Je suis au (X). Bien à vous. Xavier
Ma réponse :
Xavier.
Merci de votre mail dont je viens de prendre connaissance. Je vous
appellerai demain afin que nous convenions d’un rendez-vous pour un
bilan vocal. Ce premier cours nous donnera, en plus de l’avis que vous
souhaitez, la « marche à suivre » pour vous faire progresser au mieux.
Bien cordialement. Jean Laforêt
Bilan vocal de Xavier
J’ai
reçu Xavier la semaine suivante. C’est un grand garçon de 1,85 m, brun
et mat de peau. Il est ingénieur informaticien et souhaite « bien »
chanter… si cela est possible ! Il m’a tout de suite impressionné par
sa motivation vraiment forte de travailler sa voix. Souvent félicité
par son entourage lors de karaokés et autres concerts entre amis, il
désire en savoir plus sur ses réelles possibilités. Il s’exprime avec
facilité et sa voix parlée, assez grave, possède un très beau timbre !
Il chante surtout des chansons de Brel dont il connait une bonne partie
du répertoire. Il souhaiterait s’orienter vers le lyrique. Il me dit
avoir toujours aimé les chanteurs à voix et me confie que son père, à
cinquante ans passés, chante encore très bien certains airs de baryton.
Les tests
Ils ont été réalisés torse nu et ventre libre.
Xavier
a tout d’abord chanté « Quand on a que l’amour », de J. Brel. J’avais
justement le play-back de cette magnifique chanson… ce qui lui a permis
d’être accompagné. Je lui ai demandé de chanter sans micro afin de
mieux cerner son timbre. J’ai été vraiment impressionné par son
interprétation, à la fois sobre et sensible. Exactement ce qu’il
fallait ! Nous avons enchaîné avec « La Quête », morceau très connu,
extrait de Don Quichotte. Cet air, autrement plus difficile
musicalement que le premier, a été également chanté d’une façon que je
peux qualifier de « remarquable », surtout pour un amateur !
Avant de continuer notre bilan, je lui ai dit sans attendre tout le bien que je pensais de ses interprétations.
A
suivi une vocalisation simple, afin de tester plus à fond ses
possibilités. Dès les premiers petits exercices que nous avons faits,
j’ai su tout de suite que Xavier pourrait chanter du lyrique. Nous
avons parcouru facilement, sur diverses voyelles, un ambitus d’une
octave et demie (sol1/ ré3). A mon avis, il avait une voix de
baryton-basse. Naturellement, la respiration était à améliorer, ainsi
que les appuis et le deuxième passage (le larynx montait dès do3).
Cependant, le « matériel vocal » était là et le travail à réaliser me
parut pouvoir se faire aisément !
Je lui ai fait
part de mes déductions en soulignant qu’à mon avis, aborder le chant
lyrique ne serait pas un problème pour lui. Inutile de dire sa joie en
entendant ces paroles.
- J’ai essayé certains airs de Mozart avec mon père, mais je n’arrive pas à monter comme lui.
-
Ta voix ne passe pas correctement dans le registre aigu. Rassure-toi,
ça se travaille. Ton père a peut-être une voix naturellement bien
placée. Il arrive parfois que par simple imitation on arrive à franchir
ce pas.
- Mon père était fan du baryton Michel Dens et chantait sur ses disques ! Vous le connaissez ?
-
Très bien. C’est l’un des meilleurs chanteurs que j’aie connu. Son
émission était naturelle… il n’a pris que de très rares cours de chant.
Pourtant, quelle carrière ! Cinquante ans de premiers rôles !
Bien
qu’un cours intégral ne soit pas d’une nécessité absolue dans son cas,
Xavier tint, par curiosité et passion pour le chant, à l’entreprendre.
Voir le billet : « Le chant thérapie, un travail vocal intégral »
Les premiers cours
Ils
se sont déroulés sans problème particulier. Xavier, très motivé, a
coopéré à 100%. Les relaxations, comme chez la plupart des élèves, ont
mis en exergue de nombreuses tensions, situées surtout à la nuque, au
plexus solaire et à l’abdomen. Cependant, notamment grâce aux massages
et au taïchi vocal, elles disparurent assez vite, facilitant une
respiration abdominale profonde et détendue. De ce fait, nous avons pu,
presque dans la foulée, commencer à travailler l’appui du souffle
abdominal. (*)
(*)
A ce sujet, il est à noter que Xavier parvint très vite à réaliser des
réactivations diaphragmatiques correctes et à réguler à volonté le
débit de son souffle, ce qui n’est pas le cas de la plupart des élèves.
Avec
lui, j’ai donc pu rapidement aborder une certaine forme d’accord
pneumo-phonique « réflexe » en lui faisant chanter des séries de cris
(attaques diverses, sirènes, etc.)
Pour des précisions sur ce travail, voir les billets :
« Les fondamentaux de la technique vocale »
« La technique vocale fondamentale »
L’accord pneumo-phonique en taïchi
Quand
Xavier a pu « crier » sans problème d’une façon réflexe satisfaisante
(c’est-à-dire avec un appui dynamique parfaitement équilibré et…
épargnant complètement sa gorge), je lui ai fait chanter des exercices
simples sur différentes voyelles. Les principales étaient ô et â.
Réalisées
en position allongée, ces « vocalises » étaient faites en voix pleine,
consciemment maîtrisée, contrairement aux « cris réflexes » dont j’ai
parlé précédemment ! Je me servais de quintes ascendantes et de petits
arpèges tout à fait basiques.
Il s’agissait donc,
cette fois-ci de sons « pleins », s’apparentant à la vocalisation
elle-même. Ils étaient chantés dans diverses positions – allongé sur le
dos (genoux relevés, de façon à compenser l’ensellure), sur le ventre,
à genoux (dos rond) en appui sur les mains, etc. (*)
(*)
Ces exercices – entre autres - habituent le corps à se comporter
toujours de façon optimale, quelle que soit son orientation. Aucun
challenge n’est au rendez-vous. Leur ambitus est au maximum d’une
octave et demie (ou moins, selon l’élève). L’essentiel est de ne jamais
« forcer »… tout en obtenant des sons « pleins » équilibrés et de bonne
qualité.
Vocalisation
Parallèlement
aux relaxations et au taïchi à chaque leçon, j’avais commencé avec
Xavier une vocalisation normale. Elle comprenait un échauffement très
basique, quelques exercices sur « ô » (Xavier réussissait bien cette
voyelle) suivis d’un travail de « messa di voce », toujours sur « ô ».
(*)
(*) La « messa di voce » consiste en une tenue commencée piano, amenée à un forte, puis diminuée de nouveau.
Je
commençais toujours l’échauffement de cette séquence de vocalisation
par des quintes, des arpèges d’accords parfaits et des sirènes, «
chantées » d’abord sur Brroum (bruit que l’on ferait avec sa bouche
pour imiter un moteur…) ; ces premières « vocalises » étaient suivies
de sons bouche fermée, etc.
Tous les détails sur ce travail figurent dans le billet :
« Faire sa voix avant le spectacle »
Suivaient
quelques exercices sur « ô ». Des quintes ascendantes et quelques
arpèges, plus ou moins rapides selon l’effet recherché, se sont révélés
ici amplement suffisants. Chantés correctement, gorge ouverte et avec
une amorce de bâillement dès le médium, ces petits exercices offrent
une efficacité optimale et un bon « ressenti » de résonance et
d’ouverture.
Xavier atteignit ainsi - très vite - d’excellents do#3.
Je
ne cherchais pas, au début, à lui faire franchir le deuxième passage
laissant son larynx, qui montait toujours dans le haut-médium,
s’assagir un peu. Cela viendrait en son temps. Pour l’instant, je me
contentais de consolider au mieux son médium.
Pour
cela, je lui faisais travailler, en plus de la « messa di voce » sur «
ô » (que nous faisions à chaque cours), quelques modulations destinées
à bien structurer cette partie importante de la tessiture (le médium).
J’ai choisi pour commencer la modulation : ô â é i â que nous chantions par demi-tons de mi2 à do3 (*)
(*)
Relativement courte et comprenant deux voyelles « fermées » riches en
harmoniques aigus (i et é), elle était ici particulièrement indiquée.
La gymnastique vocale
J’avais
eu soin de lui en enseigner progressivement tous les éléments. Au bout
de deux mois, avant toute vocalisation plus poussée, elle a constitué
pour Xavier un exercice quasi incontournable. Il aimait beaucoup «
lancer » sa voix dans les quelques exercices rapides et très articulés
qu’elle comporte.
De nombreux détails concernant cette gymnastique vocale figurent dans le billet :
« L’articulation dans le chant »
Préparation à l’enracinement profond des voyelles « i » et « é »
Progressivement,
notre programme s’était enrichi également de quelques exercices
destinés à amorcer cet enracinement tellement important. Je m’étais
servi tout d’abord de quintes ascendantes sur « i » et « é » que Xavier
devait chanter sans « forcer » mais en respectant absolument quelques
règles fondamentales, dont la couleur des voyelles et… la forme du
faciès. Nous commencions ces vocalises dans le bas-médium. (*)
(*)
Bouche entrouverte et dans un bâillement « poli », « i » doit être
pensé « i » et « é » pensé « é » ! Ces voyelles, chantées ainsi,
peuvent surprendre au début, leur couleur initiale étant naturellement
déformée. Il faut cependant persister…
Il
va sans dire que bien exécuter ces exercices est d’une importance
capitale. Mal faits, ils n’apporteraient non seulement pas les
résultats escomptés, mais pourraient se révéler néfastes !
Voici quelques rapides indications pour les aborder au mieux :
-
Le corps doit être en bonne statique, bien ancré au sol, le souffle
abdominal pris correctement et « arrêté » dans les règles avant chaque
attaque…
- Le visage doit donner l’apparence d’un
« masque antique ». Sourire détendu, pommettes soulevées, bouche
entrouverte de deux doigts environ…
- La pointe de la langue, relâchée, doit reposer mollement à la racine des incisives inférieures, près de son filet.
-
Les attaques doivent être faites très nettement, « gorge ouverte »,
souffle au-dessus du futur son, en direction du creux du palais dur.
Une amorce de bâillement est naturellement de rigueur !
- Les quintes seront chantées assez lentement, très legato, dans une nuance mezzo-forte.
- Au fur et à mesure de l’ascension tonale, l’appui sera ressenti d’abord sur la poitrine, puis au creux de l’épigastre.
Comme dans tout exercice, la manière d’attaquer le son revêt une importance capitale !
Vous pouvez consulter à ce sujet le billet : « L’attaque du son ».
L’enracinement profond de « i » et « é »
Il
faudra attendre que les quintes décrites ci-dessus soient réussies dans
le médium et haut-médium pour réaliser avec ces voyelles un
enracinement plus profond destiné à l’aigu. (*)
(*) Pour ce travail, les arpèges d’accords parfaits, correctement « lancés », me paraissent bien adaptés.
Pour l’enracinement profond :
Les
voyelles « i » et « é » bien attaquées vers le masque comme dans
l’exercice précédent, devront progressivement être comme « descendues »
(avalées) en direction du périnée… vers le sol ! Je parle, bien entendu
de la sensation de leur appui et non des voyelles elles-mêmes dont la
vibration se fera naturellement en tête ! (*)
(*)
J’aimerais pouvoir expliquer en détail cette progression mais il est
pratiquement impossible, seulement avec des mots, de cerner ce
processus de façon claire ! L’exemple et le contrôle sur l’instant sont
ici obligatoires !
Voici cependant quelques billets où ce sujet a été abordé sous des angles différents, souvent complémentaires :
« Comment rendre ma voix plus performante »
« L’équilibre vocal 2 »
« Un aigu problématique »
« Comment sortir mes aigus »
« La hauteur d’émission »
L’exploit sur un arpège
Xavier a mis beaucoup de temps pour réussir cet exercice d’enracinement profond.
Cependant,
de cours en cours, je constatais qu’il parvenait à monter de plus en
plus haut sans resserrer sa gorge. Do3, do#3 et ré3 finirent par sonner
très bien dans le haut-médium, sur ces deux voyelles, sans ascension
laryngée. Cela signifiait, en clair, que « l’appui » de ces voyelles
était de mieux en mieux cerné (*)
(*)
Notre travail en amont sur l’équilibre pneumo-phonique, notamment à
l’aide des « cris » avait joué un rôle décisif dans la réussite qui se
profilait.
Eureka !
Un
jour, le déclic s’est produit ! Au sommet d’un arpège d’accord parfait
assez rapide, un magnifique mi3 - sur « i » - a jailli de la gorge bien
ouverte de Xavier. Comme je le félicitais chaudement, il me dit, assez
dépité, avoir eu l’impression de faire un son affreux, un cri
innommable ! Moi, je riais de bon cœur… ayant enfin l’enracinement que
je désirais !
J’ai bien sûr repris tout de
suite l’exercice… d’abord dans le même tempo, puis en le ralentissant
un peu. Le même « phénomène » s’est reproduit. Pour bien ancrer le
mouvement, j’ai demandé ensuite à Xavier de tenir un peu ce mi3… ce
qu’il a pu faire pendant à peu près trois secondes…
Nous
avons renouvelé cet exploit les cours suivants sans aucun problème
particulier. Le corps et l’oreille de Xavier s’étaient accoutumés au
geste et aux couleurs particulières des voyelles « i » et « é »,
chantées bien enracinées et correctement « bâillées » en registre aigu.
Il trouvait désormais ces sons beaucoup moins laids…
Les modulations
Elles
ont grandement « profité » de notre travail d’enracinement sur « i » et
« é » ! Xavier acceptait désormais d’émettre des sons qu’il
n’appréciait pas auparavant ! Bientôt, il put « bâiller » assez
facilement la modulation â é i ô u i sur do3 et même ré3, ce qui
constituait une prouesse pour sa voix de baryton-basse !
Au
fil des cours, notre programme a continué à se corser de plus en plus.
Bientôt, en tenant naturellement compte de ses moyens, il a comporté
tous les exercices qu’un chanteur professionnel se doit de faire
journellement pour entretenir sa voix :
Voir le billet : « Le cours de technique vocale type »
La couverture dynamique de « â » en voix pleine
Cependant,
bien que Xavier réussisse désormais parfaitement les voyelles « fermées
« i » et « é » en régime aigu (nous montions maintenant à fa3), le
passage de « â » dans ce même registre lui posait encore un sérieux
problème. (*)
(*)
Grâce à une technique d’enracinement désormais bien cernée, cette
voyelle (â) avait beaucoup gagné en « solidité » et rayonnait davantage
dans le haut-médium. Cependant, elle ne parvenait pas encore à franchir
– en plénitude - la barrière du deuxième passage.
C’est une modulation qui nous a permis de vaincre cet obstacle !
Comment avons-nous procédé…
Xavier
parvenait à attaquer sans problème des ré3 sur « i » et « é ». Son
souffle étant désormais très bien conduit, j’ai pensé qu’une modulation
commencée directement dans l’aigu sur ces voyelles favorables (i/é)
pourrait nous tirer d’affaire ! Cela ne marche pas à tous les coups
mais, cette fois-ci, cela a fonctionné !
Dans
un premier temps, je lui ai fait chanter assez lentement (5 secondes
environ) la modulation simple « i_é_i_é_i », bâillée et très enracinée
sur un ré3. Possédant bien ces voyelles, Xavier parvint bientôt sans
trop de peine à la donner sur mib3 puis sur un mi3 !
Lorsque
ces essais furent vraiment concluants sur cette modulation, nous
l’avons transformée en : i é i ou o â è (qui comprenait un « â » et un
« è », bien introduits par « i » et « ou »)
J’avais vu juste :
Après
quelques atermoiements, Xavier réussit à chanter cette seconde
modulation dans un parfait legato, sur ré3, mib3, puis mi3 !
Noyé
dans la modulation, les « â » récalcitrants étaient enfin passés en
régime aigu et y sonnaient parfaitement… ainsi que les « è » ! Cette
dernière voyelle pose souvent des problèmes et tend quelquefois à
s’écraser. Là, rien de tel… elle avait suivi parfaitement la ligne
générale.
Bien évidemment, d’autres exercices suivirent et nous permirent d’affiner ce résultat. (*)
(*) L’un d’entre eux, qui consistait à nous arrêter sur « â » au cours de la modulation, nous rendit un fier service.
Les Vaccaj
Pour confirmer ses nouvelles connaissances, j’ai choisi d’en faire chanter quelques leçons à Xavier. (*)
(*)
J’ai dit à maintes reprises combien j’appréciais ces petites pièces en
italien, parfaites à mon avis pour « appliquer » au mieux une technique
acquise.
Il prit beaucoup de plaisir à les interpréter…
S’entendre chanter des notes que sa voix n’avait jamais atteintes auparavant le comblait de joie…
Mozart
Nous
avons choisi : « Non più andrai », un des airs de Figaro extrait des
Noces. Il le connaissait un peu pour l’avoir essayé quelquefois avec
son père qui le chantait souvent… et fort bien, d’après lui.
Comme je le pensais, Xavier n’eut aucun problème sur les nombreux mi3 (assez enlevés) de ce morceau de bravoure !
Un
peu après, nous avons essayé, avec le même succès « Se vuol ballare »,
un autre air de Figaro extrait des Noces. Cet air, très enlevé
lui-aussi, comporte des fa3 !
La preuve était
faite. La voix de baryton-basse de Xavier avait désormais sa vraie
tessiture. Elle ne pourrait que se consolider avec le temps et… un bon
suivi technique.
Le pari était gagné…
A bientôt ?
Pour consulter les archives des billets actu… c’est ici !

Jean Laforêt