Chronique du Vendredi 31 janvier 2013
Voix et timidité
Armand N. (23 ans – informaticien et timide)
Bonsoir
monsieur. C’est un ami, Georges L. - un de vos anciens élèves - qui m’a
conseillé de prendre contact avec vous. Il m’a communiqué l’adresse de
votre site et j’ai lu plusieurs de vos billets. J’ai pu y voir que le
chant thérapie s’adresse aussi aux personnes affligées de timidité. Je
ne suis pas du tout chanteur mais vraiment très timide. Cela me gâche
la vie. J’aimerais vous rencontrer afin de savoir si un travail vocal,
tel que vous le préconisez, pourrait m’aider. Je suis joignable au (x).
Cordialement. Armand.
Ma réponse
Armand.
Merci de votre mail dont je viens de prendre connaissance.
Effectivement, le travail vocal intégral est une thérapie en soi et
fait souvent merveille sur la timidité. Je vous appellerai demain pour
que nous puissions fixer un rendez-vous pour un bilan, objet du premier
cours. Bien cordialement. Jean Laforêt.
Bilan vocal d’Armand
J’ai
reçu Armand la semaine suivant notre échange de mail. C’est un garçon
grand et mince portant lunettes, d’aspect très sérieux. J’ai eu tout
juste droit à un pâle sourire lorsque nous nous sommes serré la main.
Ensuite, assis confortablement, il m’a expliqué en détail pourquoi il
voulait faire du chant. En fait, seul le but thérapeutique du cours
l’intéressait. Il n’était pas contre le fait d’apprendre quelques
chansons s’il en était capable, mais ce n’était pas l’essentiel pour
lui. Il souhaitait avant tout tester l’effet du « cours vocal intégral
» sur une timidité que rien ne semblait pouvoir ébranler !
Il
m’a raconté en détail « l’enfer » qu’il vivait. Il avait essayé
plusieurs « méthodes » mais aucune, jusqu’alors n’avait donné les
résultats qu’il escomptait. Le sport semblait lui faire du bien (il
pratiquait assidûment la natation et le footing). Comme je m’y
attendais, les sports d’équipe ne l’intéressaient pas…
Il
me dit être vraiment très seul. En dehors de son travail qui,
heureusement, le passionnait, il n’avait aucune vie sentimentale et peu
de copains. Son ordinateur était, en fait, son unique vrai compagnon.
Il souffrait beaucoup de cette situation !
Naturellement… assez dépressif, il n’aimait ni son corps, ni son visage, ni sa voix. (*)
(*) Alors que j’étais certain que de nombreux garçons auraient aimé lui ressembler !
Mais… rappelons ici que : "Les choses ne valent que par l’idée que l’on s’en fait" (Jean Laforêt)
J’ai
souvent fait travailler des personnes ayant le même problème qu’Armand
et obtenu avec elles, très souvent, de bons résultats. Je lui ai
rappelé à ce propos certaines de leurs histoires… qu’il avait
d’ailleurs déjà lues, pour la plupart, dans les billets ! Il ajouta que
c’était surtout ces lectures qui l’avaient décidé à entreprendre ce
travail vocal !
Armand n’avait jamais chanté de
sa vie et ignorait s’il pourrait le faire. Il me redit que l’essentiel
pour lui n’était pas là, qu’il désirait travailler sa voix
essentiellement dans un but thérapeutique.
Voici quelques billets évoquant des cas semblables :
« Le chant thérapeutique »
« Parler fort m’est impossible »
« Je manque d’assurance, ma voix est sourde »
« Je n’ai pas confiance en moi »
« Le chant et le stress »
Les tests vocaux
Ils ont eu lieu torse nu et ventre libre.
La
gorge serrée, Armand a chanté d’une voix assez faible « Au clair de la
lune ». L’échange respiratoire était pratiquement inexistant. Son
corps, « bloqué », ne respirait que très peu. En revanche, j’ai
constaté que son timbre était tout à fait agréable à entendre. Il était
vraisemblablement baryton.
Ensuite, je lui ai
demandé d’appeler très fort une personne située assez loin de lui.
Contracté au maximum, il fut presque incapable de crier. Sa gorge était
serrée et sa voix, nouée, ne sortait que faiblement. (*)
(*)
Comme dit plus haut, ayant déjà rencontré ces problèmes de timidité et
de serrage chez bien des personnes, j’avais bon espoir, si Armand
coopérait à fond, de l’en débarrasser !
J’ai
ensuite voulu tester ses « possibilités » vocales. Pour cela, j’ai
entrepris une progression de vocalisation très douce, en ayant soin de
ne jamais « l’effaroucher ». Nous avons ainsi parcouru cahin-caha –
faiblement, certes - un ambitus d’une octave et demie avec plusieurs
voyelles. Au fur et à mesure de ces tests, je constatais qu’il se
détendait. J’ai même eu droit à quelques sourires qui ont contrasté
avec le « sérieux » qu’il affichait en général ! Même son ventre avait
des velléités de relâchement et permettait à l’oppression que je
sentais chez lui, de s’estomper un peu. Autre point positif : pas de
problème d’oreille !
Tests en position allongée
Ce
jour-là, j’avais un peu de temps devant moi. J’en ai profité pour
essayer quelques exercices de taïchi vocal en position allongée. Après
une rapide détente consistant surtout en des respirations lentes
suivies d’un travail spécifique du diaphragme, j’ai pu constater
qu’Armand était capable d’affirmer le geste respiratoire qu’il avait
ébauché en position verticale. Il est parvenu, au bout de très peu de
temps, à respirer sans blocage abdominal important.
Ce résultat, obtenu aussi rapidement, était de très bon augure !
M’appuyant
sur ce petit succès, je l’ai rassuré en lui disant que j’avais
maintenant la ferme conviction que le « travail intégral » qu’il
souhaitait entreprendre avait toutes les chances de l’aider très
efficacement à résoudre son problème.
Voir le billet : « Le chant thérapie, un travail vocal intégral »
Armand était venu pour cela. Nous avons tout de suite convenu d’une date pour commencer.
Les premiers cours
Armand
était très motivé. Malgré sa timidité, au tout début, à s’abandonner
complètement en relaxation, celles-ci se sont déroulées le mieux du
monde. Comme de nombreux élèves, il a pu se rendre compte, grâce à
l’état de relâchement qu’il y atteignait, des nombreuses tensions qu’il
véhiculait dans sa vie de tous les jours. (*)
(*)
J’ai constaté ce phénomène à maintes reprises : c’est toujours « après
» une détente que l’on peut mesurer l’état de tension dans lequel on se
trouvait juste avant ! Lui, ne fit pas exception à la règle !
La
respiration abdominale ne lui a vite posé aucun problème particulier.
J’ai pu ainsi, presque dans la foulée, lui enseigner « la rétention »
du souffle à l’aide de quelques exercices simples.
Voir ces exercices dans le billet : « Un problème vocal complexe »
Tout allait pour le mieux !
D’autre
part, je m’apercevais qu’il se laissait de plus en plus « aller » dans
les divers exercices que je lui proposais ! Ses défenses naturelles de
grand timide lâchaient prise peu à peu. Une certaine qualité de
détente, acquise grâce aux relaxations et à notre travail de taïchi,
commençait à prendre place aussi dans son quotidien. Je constatais par
exemple que sa voix parlée, sans qu’il ne s’en rende vraiment compte
lui-même, était plus moelleuse et un peu plus grave, cadrant mieux avec
son personnage.
Très vite, j’ai pu lui faire
travailler l’appui du souffle abdominal et amorcer une série de cris
pour affirmer un équilibre pneumo-phonique naissant ! Naturellement,
j’adaptais ces différents exercices à ses possibilités du moment,
cherchant simplement à lui inculquer le bon geste.
Voir les billets :
« Je voudrais devenir ténor »
« La technique vocale fondamentale »
« Les fondamentaux de la technique vocale »
Le ressenti d’Armand
Il
me dit plusieurs fois qu’il se sentait bien… même de mieux en mieux !
Au cours, sa timidité n’existait presque plus. Avec moi, il était comme
un poisson dans l’eau ! J’ai même obtenu, au bout d’un certain temps,
qu’il me tutoie ! Un jour où il était particulièrement bien, je lui ai
dit à peu près ceci :
- Tu sais, tout ce que tu ressens au cours se reportera progressivement dans ta vie de tous les jours.
- Ici, je suis bien !
- J’en suis conscient et… content.
- Ce n’est pas encore pareil à l’extérieur !
- Il faut un certain temps pour cela. Bientôt, tu verras les choses autrement, j’en suis sûr !
- C’est drôle, je ne comprends pas vraiment ce qui se passe…
-
Moi, je crois le savoir ! Ici, tu es dans un espace de liberté absolue
où tout est permis et souhaité ! Dans ta vie de tous les jours, de
nombreuses contraintes existent. De plus, on interprète parfois mal le
regard des autres…
- Tu crois que c’est ça ?
- En partie oui, je le pense.
- Tu as sans doute raison… je suis toujours à me demander ce que l’on pense de moi, si je suis à la hauteur…
- Ici, rien de tel !
- C’est vrai… là, je suis le roi ! (sourire)
-
Exactement ! Bientôt, tu seras le roi aussi au dehors ! Les contraintes
que tu ressens te paraîtront moins lourdes et tu les vivras mieux !
- Que Dieu t’entende !
- Rassure-toi, il m’entend souvent !
La vocalisation
Armand
n’avait jamais chanté et, même la plus petite vocalisation prenait pour
lui des allures de découverte ! Il s’amusait vraiment ! D’ailleurs, je
m’amusais autant que lui en observant sa façon de faire ses premiers
pas vocaux.
Incontestablement, il « aimait » cela !
Les
exercices que je lui proposais étaient simples et parfaitement
abordables pour le débutant qu’il était. Il s’appliquait à les chanter
le mieux possible, sans se poser de questions. Pour lui, le problème
n’était pas celui d’un futur chanteur ! Il souhaitait avant tout aller
mieux et avalait goulûment les « comprimés vocaux » que je lui offrais !
Ces
« médicaments de début de cure » étaient simplement des quintes
ascendantes sur « ô » et quelques arpèges sur la même voyelle !
Progressivement, j’ajoutais des difficultés afin de le maintenir dans
une courbe ascendante de progrès. Des « i », des « é » et des « â » ont
fait leur apparition sans, à mon grand étonnement, lui poser le moindre
problème ! J’avais presque l’impression de faire travailler un futur
chanteur…
Voir le billet : « La technique vocale de base »
Un texte
Parallèlement
à notre travail en cours (relaxations, taïchi et vocalisation simple)
je lui ai demandé d’apprendre un texte. Comme souvent, une fable de La
Fontaine a fait l’affaire. Nous avons choisi « Les animaux malades de
la peste ». Cette fable, assez longue, permet d’employer des timbres de
voix différents afin d’incarner au mieux… le lion, le renard, l’âne,
etc. (*)
(*) Je
pensais que ce travail – entre autres – l’inciterait à « sortir » un
peu de lui-même. Nous lui consacrions un petit quart d’heure en fin de
séance… notre récréation !
J’avais vu juste. Il s’est montré très intéressé par cet exercice de comédien.
Au
bout de quelques leçons, il savait la fable par cœur et « s’oubliait »
vraiment en l’interprétant. Chaque personnage – dont je lui demandais
d’exagérer volontairement les intentions – prenait vie et le « tableau
» se construisait sous nos yeux. Certaines fois, pour nous amuser, nous
nous donnions même la réplique…
Armand souriait de plus en plus souvent…
Progrès vocaux
Cahin-caha,
notre vocalisation simple amenait d’incontestables progrès. Notre
ambitus de travail s’élargissait. Armand atteignait maintenant
facilement le mib3 et, surtout, son timbre s’affirmait davantage de
jour en jour en qualité et en puissance. (*)
(*)
Cela signifiait que, beaucoup moins tendu, il était de plus en plus
réceptif à notre travail. De plus, son intérêt croissant pour le chant
ne faisait aucun doute…
Il me dit un jour :
- C’est drôle, quand je t’ai rencontré, j’étais très dépressif…
- Je m’en étais douté.
- Bien sûr. Maintenant, bien qu’au fond je le sois encore, quelque chose a changé.
- Tu aimes chanter ?
-
Oui, bien sûr mais… j’aime surtout venir ici. Au cours, je suis bien.
Et puis, j’ai l’impression de créer quelque chose en chantant et en
disant la fable. Comme si quelqu’un d’autre se glissait en moi…
-
Ce que tu dis là me fait très plaisir. Cet intérêt toujours plus vif
que tu portes à nos cours montre que tu es comme… en train d’ôter un
vieux costume pour en endosser un autre qui, entre nous, semble t’aller
à merveille !
- Oui ! Ici je suis quelqu’un d’autre. Malheureusement, ce n’est pas encore « mon personnage d’ici » qui rentre à la maison…
- Ça va venir ! Il faut un début à tout, ne crois-tu pas ?
- C’est sûr ! Ce qui est certain, c’est que j’attends impatiemment ce moment-là toute la semaine !
- Tu es vraiment très gentil.
- C’est la vérité vraie !
Gymnastique vocale
Le
moment était venu pour Armand de consolider ses acquis vocaux.
Pratiquer à chaque cours la gymnastique vocale s’imposait. Je lui en
avais enseigné progressivement tous les mouvements et elle était
maintenant pour nous un échauffement de choix !
Voir des précisions dans le billet : « L’articulation dans le chant »
Des chansons
Cela
devait arriver ! Tout d’abord, j’ai choisi de lui faire apprendre
quelques chansons enfantines afin de le familiariser avec sa voix
chantée… qu’il découvrait presque.
« Au clair
de la lune », « Il était un petit navire » et autre « J’ai du bon
tabac… » défilèrent alors allègrement par sa bouche gourmande pendant
quelque temps !
Il s’amusait follement !
Afin
de peaufiner son articulation parlée et chantée, je lui faisais
également articuler à chaque cours des phrases difficiles (parlées et
parfois chantées sur des motifs musicaux simples). Ce travail, très
prisé par les comédiens, est à la fois amusant et aussi très utile aux
chanteurs et… à tous ceux qui ont à s’exprimer en public.
Voir des exemples de ce travail dans le billet :
« Le bégaiement est-il guérissable ? »
Une vraie chanson
Bientôt, chanter une « vraie » chanson le titilla beaucoup !
J’ai
choisi « La chanson des vieux amants » de Jacques Brel. Il a adoré ce
travail qui l’absorba entièrement pendant tout un mois. A chaque leçon,
nous consacrions un petit quart d’heure à la peaufiner… Le jour où il
la chanta entièrement sur play-back fut un grand jour pour lui… et pour
moi !
Renaissance
Je crois que c’est le terme qui convient. Armand renaissait ! Il souriait plus, parlait plus… était plus ouvert.
Le chant avait fait ce miracle en un an à peine !
A bientôt ?
Pour consulter les archives des billets actu, c’est ici !

Jean Laforêt