Chronique du Mercredi 19 juin 2013
Je voudrais retrouver ma voix
Jean-Louis S. (26 ans, chanteur amateur)
Bonjour monsieur,
Je
viens de consulter votre site sur les conseils d’un ami. J’ai lu nombre
de vos billets et je me suis reconnu dans plusieurs. Voilà en deux mots
mon histoire. J’ai 26 ans, je chantais depuis longtemps en amateur
(ténor) sans me poser de questions quand, l’année dernière, j’ai eu un
problème vocal : un petit nodule épineux dû, d’après le spécialiste
ORL, probablement à un forçage. J’ai été opéré et rééduqué semble-il
avec succès mais, malgré cela, je ne retrouve pas ma voix d’avant. J’en
suis très malheureux et me tourne vers vous pour avoir un avis et
éventuellement savoir si vous pourriez m’aider. J’aimerais faire un
bilan vocal. Je suis joignable au (X). Merci par avance de votre
réponse.
Bien à vous
Jean-Louis
Ma réponse
Jean-Louis
Je
viens de lire votre mail dont je vous remercie. Un nodule, épineux ou
pas, est un traumatisme sérieux qui demande une rééducation très
pointue pour éviter une récidive. Celle-ci peut survenir si la cause
qui a produit le traumatisme n’est pas amendée. Rassurez-vous pourtant
car, dans la majorité des cas, on retrouve ses moyens vocaux initiaux
après un bon travail rééducatif ! Je vous appellerai demain afin que
nous prenions rendez-vous pour un bilan.
A très bientôt
Jean Laforêt www.jean-laforet.fr
Bilan vocal
J’ai
reçu Jean-Louis quinze jours après cet échange de mails. C’est un grand
garçon brun aux yeux bleus, très sympathique. Avec ses cheveux coupés
très courts et son franc sourire, on l’imaginerait volontiers sur un
plateau de tournage ! Il est grand pour un ténor : 1,85 m, me dira-t-il
par la suite !
Confortablement installé, il me
raconte en détail son histoire. En fait, il chantait depuis longtemps
sans aucun problème, quand, l’année dernière, il avait intégré un
groupe de rock. Tout s’était bien passé au début mais un lendemain de
répétition, il s’était réveillé très enroué, avec une douleur à droite
du larynx. Malgré les soins habituels (pastilles, sirop, etc.)
l’enrouement perdurant anormalement, il avait consulté un ORL. Ce
spécialiste avait détecté un « petit nodule épineux » sans doute
provoqué par un forçage. L’ablation en avait été décidée. L’opération
et la rééducation post-opératoire s’étaient bien passées mais, malgré
cela, il ne parvenait pas à retrouver sa voix « d’avant » ! Certes, il
chantait un peu mais sans aucune puissance et d’une façon très instable
! En me parlant, toute son attitude dégageait une grande inquiétude. Il
me dit :
- Pensez-vous avoir une solution ?
-
Je ne peux rien te dire avant d’avoir fait les tests vocaux. Si de
sérieux défauts techniques sont présents, tous les espoirs sont permis
! En les amendant, tu retrouveras pratiquement toutes tes possibilités
et… peut-être plus !
- Plus ? Ce sera long ?
-
Je n’en sais vraiment rien pour l’instant mais, sois rassuré, j’ai déjà
rencontré des problèmes semblables qui ont été résolus par un bon
travail technique profond. C’est un travail « intégral » que j’emploie
dans ces cas-là.
- Oui, j’ai lu le billet qui en parle.
- Alors tu sais tout ! Faisons maintenant quelques tests pour savoir exactement comment nous devrons travailler.
Les tests vocaux
Ils ont eu lieu torse nu et ventre libre.
Jean-Louis
a chanté tout d’abord une partie de « La bohème », de Charles Aznavour.
La voix était instable en général et certaines de ces « faiblesses »
affectaient même directement la justesse ! Le souffle était très mal
placé et l’appui dynamique tout à fait absent. (*)
(*)
On sentait qu’il cherchait à faire de son mieux pour respirer « avec
son ventre » comme lui avait sans doute appris le rééducateur, mais
aucune harmonie ne régnait dans l’émission. La voix n’était pas «
appuyée » correctement et se débrouillait comme elle le pouvait… Le
geste vocal n’était pas « synchronisé ». De ce fait, le chant ne «
coulait » pas.
Petite vocalisation :
Nous
avons parcouru un ambitus d’une octave et demie environ (do2/sol3) avec
diverses voyelles. J’ai naturellement constaté, comme chez la plupart
des élèves, que les « i » et les « é » étaient serrés et ne vibraient
pas à la bonne place. Les « â », écrasés en gorge, ne valaient pas
mieux. Les tenues sur « â » et « ô » montrèrent une énorme instabilité.
Bref, tout était à revoir et j’en fus… très content. J’avais maintenant
le ferme espoir, en redonnant le « bon geste vocal » à Jean-Louis, de
lui permettre de retrouver une très grosse partie de ses moyens «
d’antan » !
Je répondis donc positivement à son regard interrogateur :
-
A mon avis, tous les espoirs sont permis ! Si tu me fais confiance, je
peux te garantir que tu retrouveras tes anciens moyens vocaux. Ils
seront même plus solides qu’auparavant.
- Plus solides ?
-
Oui, ta voix, en elle-même, n’est pas abîmée et peux retrouver tout son
potentiel. Seulement, nous devrons revoir ton émission de A à Z car ton
« geste vocal » n’est pas bon ! Les relaxations, le taïchi vocal et
tout le travail de base que comprend le « cours vocal intégral » dont
nous avons parlé seront indispensables pour cela.
- Je comprends. Qu’est-ce que le geste vocal ?
-
On nomme « geste vocal » la façon dont tu te sers de ta voix, comment
tu respires en chantant, comment tu attaques tes sons, comment tu
appuies ton souffle et ta voix, enfin tout ! Le « geste vocal »
représente la coordination du couple souffle/voix qui doit être
parfaite pour chanter bien, longtemps et sans fatigue…
- Pourtant, avant…
-
Avant ton problème de forçage, tu chantais sans doute avec la parfaite
harmonie d’émission que t’avait donnée la nature elle-même. Tu ne
savais pas pourquoi mais, tu chantais bien ! Ton « geste vocal » était
parfaitement coordonné, ce qui n’est plus le cas. Dans quelque temps,
quand nous aurons mis en place une technique d’émission correcte, ta
voix sera de nouveau en bonne place et – en plus - tu sauras exactement
comment tu procèdes pour cela ! Tu pourras te référer à tout instant à
ta technique, surtout dans les moments de petite forme !
- Il faudra longtemps pour réparer tout ça ?
- Je ne peux pas te répondre pour l’instant… nous irons le plus vite possible.
- OK ! On commence quand ?
Voir le billet : « Le chant thérapie, un travail vocal intégral »
Les premiers cours
Nous
avons commencé la semaine suivante. Jean-Louis était motivé à 100% ! Sa
coopération fut totale ! Les relaxations et le taïchi vocal lui ont
permis d’acquérir en quelques séances seulement une très bonne
respiration profonde, large et calme. Il s’aperçut, comme la plupart
des élèves qui font ce programme complet, combien il était tendu
auparavant !
Voir des précisions dans le billet : « La relaxation pour mieux chanter »
Le taïchi vocal
Il
se pratique en position allongée et comporte une vingtaine d’exercices
simples. Ils sont destinés surtout, une fois la respiration profonde
obtenue, à forger un ressenti de l’appui dynamique du souffle qui
deviendra par la suite « l’appui dynamique du son lui-même ». (*)
(*)
Ces exercices de taïchi évitent une perte de temps considérable et
précisent parfaitement l’action future de l’appui du chant.
Jean-Louis
a saisi tout cela très vite et j’ai pu, au bout d’un mois environ, lui
faire travailler l’équilibre pneumo-phonique à l’aide de toute une
variété de cris et de sirènes. J’ai déjà souvent décrit ce travail
délicat.
Voir des détails en consultant les billets :
« La technique vocale fondamentale »
« Les fondamentaux de la technique vocale »
« Le cri du corps »
La gymnastique vocale
Elle
était « l’exercice d’excellence » à commencer très vite, parallèlement
à nos relaxations et au taïchi, afin de commencer à unifier son geste
tout en fortifiant sa musculature vocale. En quelques séances,
Jean-Louis eut intégré les différents éléments de ce travail dynamique,
parfaitement adapté à sa progression actuelle.
Vous trouverez des détails sur la pratique de cette gymnastique vocale dans le billet :
« L’articulation dans le chant »
Sa rééducation (en fait, c’en était une) avançait à pas de géant.
La « messa di voce »
J’ai
pu très rapidement intégrer à notre programme cet exercice
particulièrement utile. Il consiste à attaquer un son dans une nuance
pianissimo, puis à l’enfler jusqu’à obtenir un forte et retrouver
ensuite, dans un diminuendo graduel le pianissimo initial. C’est, de
loin, l’exercice le plus difficile que je connaisse. Le chanteur expert
doit pouvoir le pratiquer sur la voyelle « â » (la plus risquée) dans
un ambitus d’une octave et demie environ : la1/mi3, voire fa3 pour le
baryton ; do2/sol3, voire sol#3 pour le ténor ! (*)
(*)
Lorsque l’on demandait au grand Georges Thill la façon dont il
travaillait sa voix, il décrivait, paraît-il, la « Messa di voce »
comme l’un de ses exercices préférés :
«
J’attaque mezzo-forte une note dans le médium de ma voix, je l’amène au
forte puis la diminue de nouveau. Je fais ça sur… une bonne partie de
ma tessiture »
Cela devait paraître simple à cet immense ténor mais ça ne l’est pas du tout, croyez-moi, pour le commun des chanteurs !
Avec
Jean-Louis, nous nous contentions très modestement de parcourir (le
mieux possible) un ambitus situé dans son médium et haut-médium
(mi2/ré3). Cela lui paraissait déjà… très difficile ! (*)
(*)
Au début, je lui faisais travailler ces filages principalement sur la
voyelle « ô », en les compliquant parfois par une modulation (ô/â) ô
<< â >> ô !
Notons que, pour réussir cette transition ô/â, il est impératif que :
1)
La voyelle ô soit attaquée en bonne place, (ronde et haute, dans une
amorce de bâillement), parfaitement dégagée de la gorge. Dans le cas
contraire, cet exercice, non seulement n’apporterait rien, mais
deviendrait nocif…
2) Les transitions ô/â doivent être réalisées dans un parfait legato.
Travail sur les modulations
Parallèlement
au programme cité plus haut, nous avons très rapidement pratiqué à
chaque cours des « modulations » plus importantes. Moduler des voyelles
est excellent pour homogénéiser et structurer la voix… et celle de
Jean-Louis en avait grand besoin. Dans un premier temps, nous avons
surtout travaillé sur : « â é i ô u i ». Cette modulation doit être
chantée lentement, les voyelles se succédant dans un impeccable phrasé.
Il va sans dire qu’une bonne attaque sur la première d’entre elles (â)
est primordiale ! (*)
(*) Voir le billet : « L’attaque du son »
Dans
un premier temps, un ténor peut commencer l’exercice sur sol2,
descendre par demi-tons jusqu’à ré2 puis remonter par demi-tons
également jusqu’à mi3. (*)
(*)
Quand cet ambitus sera chanté facilement, on pourra intégrer la zone de
passage pour culminer à sol3 (sol#3 étant un grand maximum).
La pratique des modulations est expliquée en détail dans le billet :
« Le cours de technique vocale type »
Progrès évidents
Il
était indéniable que le programme que nous suivions donnait des fruits.
La voix de Jean-Louis se stabilisait bien… j’allais dire « à vue d’œil
» ! Je constatais ces progrès surtout dans le travail de « Messa di
voce » (dont je parle plus haut), qu’il réussissait maintenant
également sur « â », dans un ambitus très raisonnable, et aussi dans
les modulations « â é i ô u i ».
Jean-Louis me dit un jour :
« C’est un vrai miracle ! »
Il
n’y avait aucun miracle là-dedans ! Ces progrès étaient simplement dus
à un rétablissement de son équilibre vocal grâce à une très bonne
respiration profonde et un appui dynamique qui s’améliorait de cours en
cours ! (*)
(*)
Dans un premier temps, il avait parfaitement saisi l’action de «
l’appui vertical », « premier volet » essentiel du « soutien » qui
deviendra ensuite, complété par une réactivation diaphragmatique
contrôlée, « l’appui dynamique du chant ».
Jean-Louis maîtrisait ce geste de mieux en mieux et… tout à fait consciemment, sachant parfaitement comment il procédait !
J’ai expliqué en détail ce procédé dans les billets :
« L’appui vertical »
« Respiration et Appui vocal »
« Comment doit-on respirer »
Attaques sur des consonnes
Ce travail est indispensable pour un chanteur.
La
bonne attaque d’un son est une des clés principales du chant. Les
consonnes étant présentes dans tout texte chanté (très souvent en début
de phrase) il est plus que souhaitable d’installer chez le chanteur un
bon réflexe lui permettant de les « attaquer » correctement. De cette
façon, il sera mieux « compris »… et ne se fatiguera pas inutilement.
J’ai
mis au point divers exercices pour cela. Ils permettent de se servir du
voisement des consonnes pour ces attaques. Vous trouverez des
explications détaillées dans les billets :
« L’attaque du son »
« L’articulation dans le chant »
« Le bégaiement est-il guérissable ? »
Quelques leçons de Vaccaj et une aria antica
Pour
finir de « guérir » complètement Jean-Louis, je l’ai décidé à apprendre
quelques leçons de Vaccaj. Elles sont particulièrement utiles pour
placer la voix, une fois que la technique de base est bien installée.
Il prit beaucoup de plaisir à ce travail qui lui prouvait, s’il en
était encore besoin, que sa voix « tenait » ! L’émission incertaine
avait complètement disparue, les lignes mélodiques étaient devenues
stables… et la justesse était de nouveau pleinement au rendez-vous !
J’ai
souhaité qu’il apprenne également un « vrai » morceau de type classique
qui lui servirait de référence. J’ai choisi « Amarilli » de G.Caccini.
Cette aria est non seulement très belle à chanter mais oblige à un
intéressant travail de souffle et d’appui. Jean-Louis, bien que n’ayant
jamais interprété d’air classique se donna à fond, tout heureux de
s’entendre chanter « vraiment » !
Il était évident que nous avions gagné ! Il me dit :
- C’est incroyable, je n’aurai jamais pensé pouvoir un jour chanter du classique !
- Eh oui, tu peux ! C’est la preuve formelle que ta voix a retrouvé ses « marques » !
- Je ne chante pourtant pas de la même façon qu’avant mon problème…
- Non, sûrement beaucoup mieux !
- Je trouve ma voix plus forte !
- C’est exact et… surtout beaucoup plus stable.
- Je sens que je la conduis, elle est comme « attachée » à mon corps…
- C’est « l’appui dynamique », que tu réussis assez bien maintenant, que tu ressens.
- C’est agréable !
- N’est-ce pas ?
- Dans les chansons, ce sera pareil ?
-
Exactement, et même beaucoup plus facile, tu verras ! Les phrases
s’articulent autrement que dans le chant classique mais l’appui
dynamique est le même. Il soutiendra ta voix dans tous les cas de
figure !
Retour de « La Bohème »
Quelque
temps après, pour lui faire « vraiment » toucher du doigt ses progrès
réels, je lui ai demandé de chanter à nouveau la magnifique chanson de
Charles Aznavour qu’il m’avait présentée au bilan. Ce fut une réussite
totale : la voix est restée parfaitement stable et juste, y compris
dans les phrases rapides !
- Alors, tu es convaincu ?
- C’est incroyable, j’ai l’impression de ne pas chanter…
- Pourtant, tu chantes, et… bien !
- Je pourrai refaire du rock ?
-
Pourquoi pas ? La technique de base est la même. Les « intentions »
sont différentes mais ta voix, à moins d’excès démesurés, tiendra. Sois
prudent au début…
- Je rechanterai de temps en temps « Amarilli » !
-
C’est vraiment très indiqué ! Cet air sera ton morceau de « référence »
! Si un jour tu es un peu perdu dans la technique, le chanter te
rafraîchira la mémoire et te remettra sur les rails !
- Sûr !
-
Et puis, n’oublie pas de chauffer ta voix avant les répétitions. Il ne
faut jamais démarrer à froid… tout comme un sportif. Ton corps et tes
muscles vocaux doivent être conditionnés avant l’effort… même si tu
sais bien chanter !
- Je ferai la gymnastique avant les répètes…
- Ce serait une excellente idée !
Voir le billet : « Faire sa voix avant le spectacle »
Epilogue
Jean-Louis
a repris le rock sans problème. Il continue à venir me voir de temps en
temps afin que je contrôle son émission. A ma connaissance, il ne
souffre plus d’aucun trouble vocal…
A bientôt ?
Pour consulter les archives des billets, c’est ici !

Jean Laforêt