Chronique du Vendredi 03 avril 2015
Comment reconstruire ma voix
Laurent K. (28 ans - chanteur semi-professionnel)
Monsieur,
J’ai
trouvé votre site par hasard en cherchant des informations sur la voix.
Je suis baryton, j’ai 28 ans et je suis chanteur semi-professionnel
depuis cinq ans environ. A la lecture de vos billets, que je trouve
très intéressants et très complets, je me rends compte que je véhicule
de nombreuses lacunes qui semblent me jouer des tours. Il y a quelques
années, j’avais peu ou pas de difficultés pour chanter et j’en retirais
beaucoup de plaisir, ce qui n’est vraiment plus le cas aujourd’hui !
J’aimerais faire un bilan vocal et, si vous en êtes d’accord, reprendre
ensuite entièrement ma technique avec vous. En quelque sorte,
reconstruire ma voix. On peut me joindre sur mon portable au o6…
J’attends votre appel avec impatience.
Bien à vous
Laurent
Ma réponse
Laurent,
C’est
avec plaisir que je vous verrai en bilan. Peut-être n’y a-t-il pas
autant de casse que vous ne le pensez dans votre émission ? Dans
certains cas, un simple réajustement suffit à rétablir un « équilibre
vocal » perturbé. Gardez l’espoir ! J’espère de tout cœur pouvoir vous
rendre votre plaisir de chanter ! Rassurez-vous, à votre âge beaucoup
de choses s’arrangent relativement facilement. Je vous appellerai
demain afin que nous convenions d’un rendez-vous.
Bien cordialement
Jean Laforêt www.jean-laforet.fr
Bilan vocal de Laurent
J’ai
reçu Laurent une quinzaine de jours après cet échange de mails. C’est
un garçon grand, plutôt athlétique, dont le regard bleu reflète une
absolue détermination. Il me dit être vendeur dans un magasin de sport
(travail qu’il qualifia « d’alimentaire ») en ajoutant aussitôt que le
chant représentait tout pour lui et qu’il s’inquiétait beaucoup de voir
ses moyens vocaux diminuer.
Aussi, sans
attendre le « verdict » des tests, il me redit son désir de vouloir
reprendre sa technique de A à Z. Je lui ai alors demandé :
- Depuis combien de temps sens-tu les difficultés dont tu me parles ?
- Elles se sont surtout aggravées cette année mais cela fait déjà un certain temps que je constate une diminution de mes moyens.
- Ça se traduit comment ?
-
Moins de souffle, des aigus plus difficiles… ainsi d’ailleurs que les
graves qui sortent de moins en moins bien. J’ai aussi beaucoup de
difficulté à chanter doucement.
- Tu chantes quel genre de musique ?
-
Divers. On m’engage pour les offices religieux, mariages, etc. Je
participe aussi à certains chœurs d’opéra ! Enfin, c’est très varié !
- Tu as des ambitions de soliste classique ?
- Oui… mais le rêve semble s’éloigner de plus en plus !
- Tu as déjà chanté des airs d’opéra ?
- Certains, mais maintenant ce serait sans doute problématique !
- Autre chose : es-tu sportif ?
- Oui, natation et footing… sans compter le vélo et un peu de musculation !
- Tout ça est excellent pour un chanteur.
- Oui je sais, mais ça ne résout pas le problème.
- Non, mais ça aide !
- C’est sûr !
-
La voix est la résultante de nombreux facteurs dont les principaux sont
la statique, l’équilibre pneumo-phonique et l’ouverture de la gorge. Si
cette dynamique vocale, bien huilée lorsque tout va bien, est rompue
par une cause quelconque, gare à la casse. On perd progressivement ses
moyens, on se creuse la tête… mais le réajustement est souvent
impossible à réaliser seul !
- Je crois que c’est ce qui m’arrive.
- Nous allons voir ça !
Les tests vocaux
Ils eurent lieu torse nu et ventre libre.
J’ai
tout d’abord demandé à Laurent de chanter un extrait quelconque afin
que je me rende compte de son geste vocal actuel. Il choisit
d’interpréter « a cappella » une partie du « Panis Angelicus » de César
Franck.
Je m’attendais à constater sur-le-champ
quelques défauts évidents, mais il n’en fut rien. Son souffle semblait
presque correct, sa gorge était relativement libre et sa statique
convenable. Son timbre était chaud et coloré. Néanmoins, je fus
fortement intrigué par un certain manque de puissance… Ce morceau n’en
réclamant pas forcément beaucoup, Laurent avait-il seulement souhaité
en respecter le style ?
Je voulus en avoir le cœur net et je lui ai demandé :
- Pourrais-tu recommencer en donnant plus de voix ?
- Ce n’est pas assez fort ? Je vais essayer mais j’ai l’impression d’être à mon maximum…
- Rassure-toi, c’est déjà très bien ainsi, mais essaie de « donner » un peu plus, je voudrais tester un point important.
- OK.
Ce
deuxième test fut laborieux. Laurent faisait tout son possible pour me
contenter… mais sans succès, la voix ne s’épanouissait à peine
davantage malgré ses efforts ! Après ce test complémentaire, il fut
évident pour moi qu’il chantait bien au-dessous de ses réelles
possibilités. Le flot vocal était comme freiné. Mais quelle en était la
raison ? Il ne s’agissait pas d’un blocage ordinaire (gorge serrée,
souffle mal dirigé, etc.)
C’était plus général, plus subtil, comme si le corps entier bloquait doucement… de partout !
- Tu as peur de te faire mal en donnant plus de voix ?
- Non, pas du tout mais, en fait, je n’y arrive pas !
- Pourtant, il y a de beaux mib3 dans ce morceau sur lesquels ta voix pourrait s’épanouir davantage…
- Oui, c’est vrai…
- D’autre part, je te trouve un peu nerveux… tu n’as pas le trac au moins ?
- Un peu… mais ce n’est pas ça. J’ai très souvent – comme maintenant - une bizarre impression de serrage intérieur.
- Je comprends, une espèce de cuirasse ! Dans la vie courante, ne serais-tu pas un nerveux qui garde « tout » à l’intérieur ?
- Vous avez raison, je n’arrive que très difficilement à extérioriser mes émotions !
-
Pourtant, l’année dernière tout allait bien ! et tu étais portant
sensiblement dans le même état nerveux ? A moins que… tu as eu des
soucis cette année ?
- Oui… graves !
-
D’accord ! Je ne te demande pas lesquels, cela ne me regarde pas.
Cependant, je pense qu’il est possible et même probable qu’une partie
de ton problème puisse venir de là !
- Vous pensez ?
-
J’ai déjà vu des cas semblables. Ta technique générale n’est pas
parfaite mais plutôt assez bonne… seulement, malgré cela, ton état «
nerveux actuel » peut contribuer à t’empêcher de te libérer pleinement.
- A ce point ?
- Mais oui !
- C’est pour ça que je voudrais tout refaire, je suis sûr que ça irait mieux !
-
Rassure-toi, je suis pleinement d’accord… nous referons tout de A à Z.
De toute façon, ton état nerveux réclame des relaxations et, de plus,
je suis sûr que certains exercices spécifiques de taïchi nous aideront
beaucoup !
- J’ai hâte de commencer !
- Ça sera pour la prochaine séance. Mais, je voudrais maintenant tester à nouveau ta voix avec quelques petites vocalises.
- Allons-y !
Petits tests de vocalisation
Nous
avons parcouru sa tessiture avec plusieurs voyelles avec des exercices
différents. Naturellement, il serrait un peu les « i » et les « é »,
les « ô » n’avaient pas la place idéale mais, dans l’ensemble, tout se
plaçait à peu près bien. Seuls, ses « â » s’écrasaient aux environs de
la zone de passage, située chez lui entre ré3 et mi3. De ce fait,
l’aigu était mal canalisé… et cela pouvait à la rigueur lui occasionner
une fatigue.
J’ai constaté également que ses
réactivations diaphragmatiques pouvaient être améliorées, ainsi que sa
respiration en général, le dos ne jouant pas un rôle suffisant. (*)
(*)
Les défauts relevés ci-dessus n’aident pas le chant mais n’expliquaient
pas à eux seuls la « baisse de régime » dont Laurent me parlait ni le
manque de liberté vocale que je constatais !
Pendant
ces essais, j’avais de nouveau essayé d’obtenir de lui un peu plus de
puissance… en vain ! La voix était jolie et juste certes, mais bien
loin de se libérer entièrement. Le fameux frein était constamment en
place !
Test du cri
Pour
changer « d’angle », je lui ai demandé de prévenir « en criant » une
personne imaginaire située à une vingtaine de mètres de lui d’un danger
imminent ! Il s’exécuta et le cri réflexe, très puissant qu’il poussa
alors me prouva, s’il en était encore besoin, que sa voix avait des
possibilités bien supérieures à tout ce qu’il m’avait été donné
d’entendre jusque-là ! J’avais donc bien vu… mais d’où une telle
différence de puissance pouvait-elle venir ? Naturellement, il faudrait
lui apprendre à canaliser ce « cri réflexe » mais… c’était une autre
histoire !
Pourquoi freinait-il sa voix dès qu’il chantait ?
Contraction du périnée ?
Brusquement,
une presque certitude s’imposa à moi : la contraction du périnée !
J’aurais dû y penser plus tôt car je savais pertinemment qu’une
possible contraction du périnée pendant le chant pouvait favoriser ce
symptôme. Plusieurs personnes que j’avais fait travailler avaient eu ce
problème… Seulement, ce défaut serait donc survenu assez récemment chez
Laurent, puisqu’avant, tout allait mieux ! Dans la foulée, je lui ai
demandé :
- Lorsque tu as commencé à ressentir ta baisse de régime inexplicable, comment as-tu essayé de la résoudre ?
-
En testant plein de choses ! Notamment, plusieurs personnes m’ont
conseillé de bien serrer les fesses pour stabiliser les sons et les
rendre plus toniques.
C’était donc bien ça ! Je répliquais :
- Je vois ! Et, depuis pas mal de temps, tu utilises ce procédé ?
- Oui, j’essaie. Ce n’est pas bon ?
-
Pas vraiment ! Mais, nous en reparlerons plus tard. Cette façon de
procéder, bien qu’assez répandue, peut, lorsqu’elle est mal comprise,
provoquer un serrage.
- Ah bon !
-
Oui ! Serrer les muscles fessiers n’est pas mauvais en soi mais, en
faisant ce geste, on contracte très souvent le périnée en même temps…
et cela est très néfaste !
- Ça fait quoi ?
-
Comme je viens de te le dire, il s’en suit un serrage vocal ! Le corps
ne « s’ouvre » pas correctement à l’inspiration, le souffle est mal
distribué, et l’émission s’en trouve freinée. Mais, rassure-toi, je
t’en reparlerai et, de toute façon, nous aborderons la question en
détail en taïchi !
Décision de travail
Je
savais maintenant comment traiter – au moins en partie - le problème de
Laurent. J’ai naturellement accédé à son désir de « revoir sa technique
de A à Z », d’autant que cela me semblait maintenant tout à fait
indiqué !
Nous avons donc opté pour un « cours
vocal intégral » qui nous permettrait de surcroît, grâce aux
relaxations, de travailler sa détente en profondeur, y compris celle du
périnée ! Ce n’était pas gagné d’avance car, comme chacun sait,
certaines habitudes ont la vie dure ! Mais sa motivation était telle
que je subodorais que le succès avait toutes les chances d’être au
rendez-vous.
Voir le billet : « Le chant thérapie, un travail vocal intégral »
Les premiers cours
Nos
premières relaxations furent assez difficiles. Laurent n’arrivait pas à
lâcher « vraiment » prise. A mon avis, son désir de bien faire était
tel qu’il gênait son relâchement général. Mais j’avais confiance, tout
cela s’arrangerait dans quelque temps.
Néanmoins,
sans attendre des détentes plus parfaites, j’ai commencé les exercices
de taïchi en position allongée dès le premier cours en insistant –
entre autres - sur un absolu relâchement du périnée. Pendant ce
travail, Laurent se rendit vite compte qu’en effet il le contractait
très souvent, notamment lorsqu’il voulait vraiment s’appliquer !
Des exercices spécifiques pour pallier ce défaut sont expliqués dans les billets :
« Périnée et projection vocale »
« Voix et périnée »
Détente en progrès
A
chaque leçon, Laurent progressait un peu dans sa détente (périnée y
compris). Je savais que nos exercices de taïchi gagneraient encore en
efficacité au fur et à mesure que son relâchement général serait de
meilleure qualité… ce qui n’excluait pas de semer les bonnes graines
dès à présent !
Comme je l’avais subodoré, au
bout de quelques cours seulement, le grand corps de Laurent se relâcha
enfin entièrement. Maintenant, mon chanteur respirait plus calmement et
surtout beaucoup plus profondément. Les massages complétaient sa
détente et de nombreux bâillements profonds, accompagnant un important
allègement de ses tensions internes, saluaient toujours la fin de ce
travail. (*)
(*) Le taïchi qui suivait les relaxations était de mieux en mieux réalisé et par conséquent… de plus en plus efficace !
Laurent me disait, après chaque cours, qu’il se sentait « revivre » !
Voir le billet : « La relaxation pour mieux chanter »
L’équilibre pneumo-phonique
Très
vite, grâce à ces bons résultats, j’ai pu approfondir et intensifier le
travail de base. Laurent se montrait passionné par les exercices de
respiration et d’appui qu’il n’avait naturellement jamais faits
auparavant !
Pour mon compte, je comptais sur
la prochaine étape, la réalisation de cris divers et bien coordonnés à
l’appui dynamique pour libérer sa voix sans troubler la « tranquillité
» de son périnée. Cela n’était pas gagné d’avance… les mauvais réflexes
ont la vie dure !
Voir les billets :
« La technique vocale fondamentale »
« Les fondamentaux de la technique vocale ».
Dans ces billets, ce travail de cris est largement évoqué.
La gymnastique vocale
Les
progrès constants constatés chez Laurent m’ont permis de l’aborder
assez vite. Elle constitua nos premiers exercices vocaux en position
verticale.
En quelques leçons seulement, mon
chanteur s’en appropria tous les éléments. Naturellement, pendant ce
travail, il devait éviter (c’était impératif), toute contraction
intempestive de son périnée… (*)
(*)
Ayant bien cerné le ressenti de cette contraction lors de nos exercices
en position allongée, il m’assurait que tout allait bien de ce côté…
De
surcroît, ces exercices de gymnastique vocale très dynamiques, réalisés
alternativement dans les positions verticales et penchées vers l’avant,
avec des réactivations diaphragmatiques réflexes et une articulation
très large, contribuaient énormément à favoriser sa libération vocale
générale. (*)
(*)
Très vite (en quelques leçons), la voix sonna plus libre, plus large et
devint plus moelleuse. Il faudrait naturellement retrouver cette
liberté en vocalisation normale puis… dans les morceaux ! Ce n’était
pas encore gagné, loin de là mais… le ciel s’éclaicissait !
Certains éléments de la gymnastique vocale sont largement abordés dans le billet :
« L’articulation dans le chant »
Confidences
Nous
travaillions depuis trois mois environ lorsque Laurent me fit part de
ce qui avait bouleversé son moral et… un peu sa vie l’année dernière.
En fait, il s’agissait d’une douloureuse rupture ! Je m’en étais un peu
douté ! Il me fit cette confidence en ajoutant avec un sourire qu’il
avait fait assez récemment une belle rencontre et que cette nouvelle
relation amoureuse le rendait follement heureux ! Je fus enchanté de
cette nouvelle qui ne pourrait qu’aider notre travail…
- Alors, ton moral est au beau fixe ?
- C’est sûr, et même plus !
- Les « petits nerfs » vont nous laisser tranquille ?
- Espérons, je me sens bien mieux ! La détente générale obtenue grâce au cours m’a beaucoup aidé à y voir plus clair.
- Et tes progrès vont maintenant encore s’accélérer !
- Je ne suis déjà plus le même !
- Je le pense aussi… mais le travail n’est pas tout à fait terminé !
- J’en ai conscience !
Notre vocalisation
La
gymnastique vocale nous servant d’échauffement, la vocalisation qui
suivait fut bientôt très correctement exécutée. Laurent m’assurait que
son périnée restait bien sage ! (*)
(*)
Je n’avais pas de peine à le croire car les sons qu’il émettait
désormais étaient à la fois libres et sonores ! Je ne percevais plus
aucune entrave dans l’émission.
Notre programme
comprenait maintenant tous les exercices qu’un chanteur lyrique se doit
de faire chaque jour pour entretenir sa voix.
Voir le billet : « Le cours de technique vocale type »
Leçons de Vaccaj et Aria Antica
Afin
de peaufiner nos nouvelles acquisitions, et avant de reprendre les
morceaux qu’il interprétait habituellement, je proposais à Laurent que
nous chantions quelques petites pièces de Vaccaj et un Aria Antica de
son choix.
Aussitôt dit, aussitôt fait : en
quelques leçons, ce mini-programme fut en chantier… et parfaitement
réussi ! Aucun frein ne subsistait dans sa voix qui était maintenant
totalement libre et avait énormément gagné en puissance ! J’avais un
peu peur que les airs qu’il chantait avant nos cours ne fassent
ressurgir la fameuse contraction du périnée… mais non, tout se passa
bien !
Son état nerveux s’était, lui aussi,
bien amélioré. L’amour retrouvé, nos relaxations et… ses progrès
techniques avaient réalisé le miracle. Laurent rayonnait et moi,
j’étais très heureux !
Le moral au plus haut, il
me parlait déjà d’auditions lyriques… Je le décidais à attendre un peu
avant de se lancer dans l’arène ! Ce métier est redoutable.
Ce
Laurent tout neuf décida de continuer ses cours afin de « placer »
correctement quelques morceaux pour ses auditions à venir. Je lui en ai
conseillé plusieurs qui convenaient à sa voix.
Voir le billet :
« Répertoire de travail pour un jeune baryton lyrique »
Epilogue
L’histoire de Laurent se termine… bien !
Nous
avons travaillé quelques mois avec un excellent pianiste, devenu
indispensable pour nous aider à peaufiner musicalement un répertoire !
Laurent
auditionne sans relâche. Il obtient souvent de petits et moyens rôles.
Surtout, il a retrouvé son plaisir de chanter… l’essentiel à mon avis !
Pour mon compte, je reste persuadé qu’il finira par réussir vraiment !
Ce métier est difficile mais quelle merveilleuse récompense nous attend lorsque l’on parvient à réaliser son rêve !
A bientôt ?
Pour consulter les archives des billets actu, c’est ici !

Jean Laforêt