Chronique du Jeudi 11 février 2016
Statique et périnée dans le chant
Frédéric Z. (22 ans - Etudiant en chant lyrique)
Bonjour monsieur,
J'ai
22 ans et je suis élève au conservatoire de (x) depuis deux ans et
passionné de chant lyrique. Je suis baryton. Tout se passe à peu près
bien mais j'ai conscience, après lecture de plusieurs de vos billets,
que de nombreux points techniques m'échappent et limitent ma voix. Je
souhaiterais vous voir afin de tenter de les élucider, notamment
l'appui qui ne semble pas s'appliquer correctement.
Pouvez-vous me recevoir pour un bilan le plus tôt possible ?
Je suis joignable au 06, etc.
Bien à vous
Frédéric
Ma réponse
Merci
de votre mail, Frédéric. A votre âge - et même plus tard, croyez-moi -
il est normal que l'on se pose des questions techniques. Je vous
appellerai demain sur votre 06… pour que nous prenions rendez-vous pour
un bilan. J'espère pouvoir vous aider… le bilan nous dira comment.
Bien cordialement
Jean Laforêt www.jean-laforet.fr
Bilan vocal de Frédéric
J'ai
reçu Frédéric environ quinze jours après cet échange de mail. C'est un
garçon grand et mince, très sympathique, dont j'ai senti la réelle
motivation dès les premiers mots échangés. Il me confirma que ses
études au conservatoire se passaient convenablement, qu'il chantait
aussi bien et - ajouta-t-il avec un petit sourire un peu gêné - sans
doute mieux que certains des étudiants de son niveau ! En fait, il
était bon élève. Son grand rêve était de faire une carrière " lyrique "
! Il était inquiet car, suite à certaines difficultés qu'il ressentait,
il avait lu de nombreux billets sur mon site et acquis peu à peu la
conviction que sa technique n'était pas vraiment au point. Il me dit
son désir de tout revoir par le menu, depuis " le cri " dont je parle
souvent.
Incontestablement, j'avais devant moi un passionné… de chez passionné !
Les tests
Ils ont eu lieu torse nu et ventre libre.
J'ai
demandé tout d'abord à Frédéric de chanter " quelque chose " a cappella
pour me rendre compte de son " geste vocal ". Il a choisi d'interpréter
une partie de l'air de la caravane " A travers le désert " extrait de
Marouf (de Rabaud) qu'il avait travaillé au conservatoire.
Je
connaissais bien cet air pour l'avoir chanté moi-même très souvent. Ce
premier test m'étonna et m'enchanta… A vingt-deux ans, Frédéric avait
déjà une voix assez puissante de baryton lyrique, avec un timbre très
intéressant. De plus, une belle sincérité se dégageait de son chant !
Un bémol cependant… j'ai constaté que les notes aiguës étaient émises
avec un certain manque d'ouverture et d'éclat, comme freinées.
Qu'importe, il n'avait que vingt-deux ans… Plus de maturité et un bon travail général arrangerait sans doute bien des choses !
Cependant,
tout en prenant quelques notes, je continuais à m'interroger ! Pourquoi
cette belle voix n'était-elle pas plus épanouie dans l'aigu ? Il
manquait quelque chose qui m'échappait ! Son émission, surtout
au-dessus du second passage, était comme " gênée "… et je ne comprenais
pas pourquoi !
Autant que je pouvais en juger,
Frédéric était assez cambré. De ce fait, la respiration dorsale n'était
sans doute pas parfaite… le bâillement des aigus devrait sans doute
être également amélioré. Mais je sentais que ce n'était pas ça… il
s'agissait vraisemblablement d'une chose plus subtile…
Soudain,
j'ai compris ! J'aurais dû y penser plus tôt ! C'était, à peu près
certainement, le fait d'une " contraction du périnée " pendant le
chant. Ce défaut, que j'avais déjà constaté chez quelques élèves,
provoquait ce genre de " freinage ". Chez Frédéric, le problème était
moins sensible dans le médium et haut-médium. Il devait sans doute
beaucoup accentuer cette contraction pour assurer ses aigus, qui, de ce
fait, étaient davantage concernés !
Sans rien
lui dire de mes " cogitations " malgré ses regards interrogateurs, et
aussi pour en être vraiment sûr, je lui ai demandé de chanter de
nouveau quelques phrases de son air, notamment celles comportant des
aigus. Moins obnubilé par sa belle voix et en observant avec grande
attention sa statique (de profil, cette fois-ci), j'ai été fixé !
Frédéric contractait peut-être son périnée… mais il m'apparaissait
maintenant que ce n'était pas seulement ça : l'ensemble de la dynamique
d'appui était perturbée par un manque évident de verticalité ! Mon
chanteur se créait bien un soutien… mais celui-ci était loin d'être "
dynamiquement efficace !
" Un appui mal exécuté
n'empêche pas de chanter mais limite énormément la qualité du soutien
et l'épanouissement vocal ! Ce défaut serait certainement passé plus
longtemps inaperçu si Frédéric avait été complètement habillé ! "
Pour moi, l'explication semblait couler désormais d'elle-même :
Très
cambré (c'était encore plus évident en l'observant de profil), il
maintenait vigoureusement son ventre " poussé vers l'avant " pendant
son chant… et contractait certainement encore davantage ses abdominaux
pour assurer ses aigus. De ce fait, la respiration " costale ", déjà
gênée par sa cambrure, était pratiquement absente, les côtes s'ouvrant
très mal. Seul le ventre, tendu vers l'avant, bougeait un peu aux
réactivations diaphragmatiques… La respiration dorsale était
inexistante !
Note importante :
L'appui
consistant à maintenir très vigoureusement l'abdomen est
malheureusement assez répandu (et souvent même enseigné). Qui n'a pas
entendu pendant ses études vocales le fameux : " Tiens ton ventre ! "
Quand
la statique et la respiration abdominale sont correctes, ces mots ne
créent pas le même problème. Seulement, chez Frédéric, dont la "
verticalité " était déjà très " contrariée " par une cambrure
importante, le même " Tiens ton ventre ! " semblait avoir eu des
conséquences plus graves, qu'apparemment, aucun de ses professeurs
n'avait encore relevées et, a fortiori, essayé de corriger ! (*)
(*) " Lorsque la statique est mauvaise, la poussée verticale ascendante
du souffle (l'appui vertical) ne part pas d'où il faut et
l'enracinement (l'ancrage) est mauvais ! "
Voir le billet : " L'appui vertical "
Bien
évidemment, (je me répète sciemment) certains chanteurs, possédant une
" bonne statique générale " doublée d'une excellente respiration
diaphragmatique-costo-inférieure, ne connaissent peu ou pas ce
problème. En " tenant leur ventre en chantant ", ils réalisent plus ou
moins le bon geste ! Malheureusement, ce n'était pas le cas de
Frédéric.
Je ne lui ai rien dit sur l'instant mais je savais désormais ce qu'il conviendrait de travailler en priorité !
J'étais maintenant sûr, s'il me faisait confiance, de lui faire rapidement oublier les soucis vocaux qui l'ennuyaient.
Quelques exercices complémentaires
Nous
avons continué avec une petite vocalisation destinée, entre autres, à
mettre vraiment en exergue le défaut d'appui que je venais de repérer.
Pour
cela, je lui ai simplement demandé de chanter " des sauts d'octaves
liés ", sur " â " : do2… do3 / ré2… ré3… /, etc. Ainsi jusqu'à sol2…
sol3. La mesure était à quatre temps et le tempo assez lent. Chaque
note était donc tenue deux temps. (*)
(*)
Cet exercice, qui réclame une importante et rapide augmentation de la
pression du souffle pour atteindre la note la plus aiguë, a mis le
problème particulièrement en évidence. A partir " du saut " fa2… fa3,
toutes les notes aiguës étaient comme " freinées " et s'ouvraient mal,
exactement comme dans son air de Marouf.
Cette fois, j'étais définitivement fixé !
Nous
avons fait aussi quelques arpèges sur différentes voyelles afin de
préciser sa tessiture. L'ambitus couvert a été : sol1/si3 (de sacrées
possibilités). Les voyelles fermées " i " et " é ", incomplètement
bâillées, " s'écrasaient un peu " dans l'aigu mais, rien d'irréparable.
Il était évident que les étonnants moyens vocaux
de Frédéric lui avaient permis de chanter sans casse (et pas mal du
tout) malgré un défaut (peut-être deux) très limitatif !
Petite conversation explicative.
A la fin de nos tests, très impatient, il me demanda :
- Que pensez-vous de tout cela ?
- Que tu as une très belle voix et que tu commences à bien t'en servir !
- Merci ! mais, comme je vous disais, je sens souvent comme un frein qui me gêne, surtout pour monter.
- Oui, effectivement, tu as raison, certains progrès restent à faire…
- Vous voyez bien ! Lesquels ? l'appui ?
-
En quelque sorte… oui ! A part quelques petites imperfections
techniques communes à beaucoup de chanteurs et qui seront résolues
rapidement, j'ai en effet repéré chez toi un problème plus embêtant
concernant l'appui. Un problème bien " installé semble-t-il ", qui sera
à " traiter " en priorité…
- Ah !
- Ce " défaut " limite beaucoup - entre autres - l'efficacité de ton soutien…
- Qu'est-ce que c'est ?
- Pour faire simple, tu appuies ton chant en général, et tes aigus en particulier, en poussant ton ventre en avant !
-
J'étais sûr que quelque chose clochait par là. Mais il faut pourtant
bien " tenir son ventre " en chantant ? on me l'a souvent répété !
-
Oui, mais pas de cette façon ! La manière que tu as de " tenir ton
ventre " en le poussant en avant réduit de beaucoup l'ouverture de tes
basses-côtes et ta respiration costale ! Cette façon de procéder bloque
en grande partie l'action de l'appui vertical qui ne prend plus
naissance là où il faut ! La " liberté du périnée ", qui signe un bon
soutien dynamique, est également compromise !
- ???
- Oui, je sais ! c'est un peu technique. Je te reparlerai de tout ça tranquillement…
- La liberté du périnée ? c'est ce que j'ai lu dans les billets ?
-
Oui, un peu ! Mais dans les billets, j'ai surtout parlé jusqu'à
maintenant de sa " contraction ". C'est le défaut de certains
chanteurs, qui, croyant mieux assurer leur voix, serrent vigoureusement
les fesses tout en maintenant " sphincter anal et périnée " contractés
pendant le chant ! C'est à éviter car un blocage plus ou moins
important se produit invariablement de cette façon… pas du fait du
serrage des fessiers mais de celui du sphincter anal et du périnée !
- Je crois que je le fais un peu…
-
C'est très possible, nous verrons. Les deux défauts peuvent
effectivement coexister… mais, dans ton cas, je mets pour l'instant de
côté le périnée. Déjà, en tenant ton ventre comme tu le fais, tu gênes
terriblement l'efficacité de ton soutien !
- C'est le problème ?
-
Je pense, en grande partie ! Ce qui explique que ta voix, appuyée
incorrectement, " s'ouvre mal ", surtout dans l'aigu, d'où le frein que
tu ressens ! Mais, il est aussi tout à fait possible que tu contractes
également ton périnée ! Dans ce cas, tu aurais " la totale " !
- Je comprends.
-
Ces habitudes sont toujours assez difficiles à corriger car le corps
garde souvent longtemps les réflexes établis. Et puis, chez toi, ta
cambrure naturelle n'arrange pas les choses. Tu sais que tu es vraiment
très cambré ?
- Ça oui ! j'ai même souvent mal au bas du dos…
- Pas étonnant !
- Mais, malgré ça, tout peut s'arranger ?
- Oui, rassure-toi… avec du travail, nous y arriverons !
- Alors, ce serait ça qui produit le frein que je ressens ?
-
Oui, je pense, comme je viens de te l'expliquer. Surtout que, dans ton
cas, le manque de verticalité - dû en partie à ta cambrure - se trouve
très aggravé par la façon dont tu pousses sur ton ventre ! Je me répète
car c'est important : ce geste compromet énormément le processus
d'appui dynamique vertical qui aide puissamment l'émission en général
et l'ouverture des aigus en particulier.
- ???
- Oui, je sais, c'est encore un peu technique…
- Ça oui !
-
Je t'expliquerai tout ça à tête reposée. A mon avis, tu dois à tes
étonnantes possibilités vocales de pouvoir tout de même chanter assez
correctement. Ce problème résolu - et je pense qu'il le sera rapidement
- ta voix trouvera de nouvelles facilités et un éclat dans l'aigu que
tu n'imagines même pas. Je m'en porte garant !
- Dieu vous écoute !
- Il m'écoute souvent !
Décision de travail
Chez
Frédéric, seul un travail " approfondi " sur l'appui dynamique était
susceptible de venir à bout assez rapidement de son (ou ses) problème.
Pour cela, il était indispensable qu'il soit réalisé, dans un premier
temps en position allongée, sur un corps parfaitement relaxé. De plus,
il me confirma de nouveau qu'il souhaitait vraiment revoir toute sa
technique, comme un débutant…
Nous avons donc
opté pour un " cours vocal intégral " qui seul réunissait ces
conditions. Nous commencerions la semaine prochaine !
Voir le billet : " Le chant thérapie, un travail vocal intégral "
Le premier cours
Il dura deux heures et se déroula au mieux.
Cependant,
dès qu'il a été allongé sur le dos pour la relaxation, Frédéric m'a dit
ressentir une douleur vague mais très présente dans le bas de ses
reins.
- C'est normal ! Dans cette position
allongée sur un plan assez ferme, ta as une conscience plus aiguë des
tensions que tu véhicules à longueur de journées et qui, dans la vie
courante, sont plus ou moins " masquées " par ton activité du moment.
Je pense qu'elles sont dues, en grande partie, à ta cambrure…
- C'est sûrement ça !
- Tu peux en être sûr !
Ensuite,
il s'abandonna avec confiance pendant la relaxation et le massage qui
suivit et parvint à une détente générale de bonne qualité. En toute
fin, il m'apprit que sa douleur du bas du dos avait bien diminué,
quelle avait même pratiquement disparu…
Profitant
de ce bon relâchement, j'ai pu commencer à travailler immédiatement ce
qui risquait d'être notre " ennui prioritaire " : la détente consciente
du périnée.
En effet, il était nécessaire que
Frédéric apprenne à détendre son périnée pour que je puisse aborder
ensuite avec lui " l'appui dynamique ". (*)
(*)
Bien que cette contraction périnéale pendant le chant ne soit pas
vraiment certaine chez lui (il n'en avait qu'une vague impression), il
était indispensable de s'en assurer en travaillant " comme si… " car,
ce que j'avais à lui enseigner ensuite (l'appui dynamique) n'était
possible qu'avec un périnée relâché au départ !
Je n'expliquerai pas ici de nouveau ce travail. La façon de procéder est détaillée très précisément dans les billets :
" Périnée et projection vocale "
" Voix et périnée "
Frédéric
coopéra à 100% et m'assura, après l'exercice de relaxation active
expliqué dans les billets ci-dessus, qu'il ressentait désormais bien
son périnée et avait une conscience exacte de son état de relâchement.
" Bien sûr, pendant l'acte chanté, il serait sans doute plus difficile à contrôler mais… chaque chose en son temps ! "
Important
Il
ajouta qu'il avait maintenant la certitude qu'il le contractait bien en
chantant… notre exercice de " relaxation active " lui avait ouvert les
yeux à ce sujet !
- Bon ! Eh bien, tu as la totale !
Cette
première séance se termina par divers exercices respiratoires de
taïchi, toujours réalisés en position allongée sur le dos, genoux
soulevés pour compenser sa cambrure, et naturellement… " périnée
relâché au maximum " !
Dans cette position de
travail, les basses-côtes s'ouvraient mieux et le dos respirait
davantage ! De ce fait, sa respiration " générale " s'améliora beaucoup
d'emblée et devint assez rapidement, grâce aux exercices qui suivirent,
encore plus détendue, plus large et plus profonde. Il en eut
immédiatement et très nettement conscience et m'assura en riant que son
périnée était resté sage pendant tout le taïchi !
Les
principaux exercices que j'ai abordés ce jour-là, et dans les cours
suivants, pour améliorer le réflexe respiratoire de Frédéric se
trouvent dans les billets suivants :
" Je voudrais devenir ténor "
" Respiration et appui vocal "
" L'expiration contrôlée du chanteur "
" L'appui vertical "
Pour suivre…
Le
travail décrit ci-dessus fut, bien sûr, repris systématiquement au
début de chaque leçon. J'ai constaté avec plaisir que la motivation de
mon chanteur, non seulement ne faiblissait pas, mais semblait croître,
tout au contraire ! Il était très intéressé et prenait des notes à la
fin de chaque séance…
J'ai rajouté
progressivement les fameux " cris " qui permettent de travailler, au
tout début des études, l'accord " pneumo-phonique ". Pendant ces
exercices " sonores ", Frédéric devait naturellement surveiller encore
plus drastiquement son périnée… qui avait l'obligation absolue de ne
pas se contracter !
Voir les billets suivant qui traitent tous de l'accord pneumo-phonique… donc, du travail sur les cris :
" La technique vocale fondamentale "
" Les fondamentaux de la technique vocale "
" J'ai longtemps abusé de ma voix "
Avec
Frédéric, ce travail " sonore " s'effectua assez bien et assez
rapidement. Il était tout heureux de sentir, grâce à une respiration
désormais beaucoup plus large et plus profonde, sa voix " s'appuyer "
différemment. J'étais persuadé que nous pourrions bientôt commencer à
mettre nos trouvailles dans la vocalisation réelle… en espérant que les
vieilles habitudes ne referaient pas surface !
Vocalisation simple en position penchée
Pour
améliorer encore son ressenti respiratoire, j'ai ajouté à notre
programme quelques minutes de vocalisation simple, le corps penché vers
l'avant, nuque bien arrondie, tête et bras lourds. Cette position a
l'avantage, non seulement d'obliger la mâchoire inférieure à un total
relâchement, mais de faciliter (sans effort particulier) une
respiration plus complète ne se limitant pas au seul abdomen… (*)
(*) Dans cette position, la respiration " diaphragmatique-costo-inférieure " se réalise beaucoup plus facilement !
Frédéric
n'eut aucune peine à réaliser ces vocalises grâce auxquelles il sentait
très bien " l'amplitude souple " de sa respiration. Celle-ci n'avait
plus rien à voir avec ce qu'il faisait précédemment. Le fameux "
blocage abdominal " était en voie de disparition !
Travail de la statique et début de vocalisation " normale "
Peu
après, nous avons abordé sérieusement la vocalisation en position
verticale. Comme je m'y attendais, elle nous donna au début un certain
fil à retordre !
Tout d'abord, il était
indispensable, tout en rectifiant au maximum la statique de Frédéric,
d'obtenir qu'il n'accentue pas sa cambrure naturelle en chantant.
Pour
cela, je lui ai demandé de faire quelques vocalises simples (le
problème n'était pas la voix), corps bien droit et genoux fléchis,
comme s'il était assis sur un siège " virtuel " situé assez haut ! (*)
(*)
Ces vocalises furent précédées (dans cette même position) de plusieurs
exercices respiratoires de taïchi afin de les " réviser " en position
verticale… avant la vocalisation " sonore " proprement dite. J'ai
immédiatement constaté qu'ils avaient fait leur œuvre, notamment ceux
d'assouplissement du dos : l'inspiration réflexe était plus complète,
les côtes participaient davantage ! Frédéric " tenait toujours son
ventre " mais sans le " pousser vers l'avant " (*)
(*)
Maintenant, l'abdomen n'était plus " poussé à l'avant " mais, grâce à
un appui correct, se " contractait en place sans intervention
volontaire ", ce qui n'est pas du tout la même chose ! Cette "
contraction " était simplement la " conséquence du chant ". Un
équilibre " dynamique " se réalisait.
De
plus, du fait d'une inspiration plus libre, et surtout d'une statique
rectifiée en grande partie par la position décrite plus haut, la "
direction d'appui " était beaucoup plus verticale, améliorant "
l'ancrage " par la même occasion…
Constatation
Pendant
les petites vocalises sur " â " qui ont suivi, Frédéric m'assura
aussitôt que la position virtuelle " assis genoux fléchis " décrite
plus haut était assez confortable, qu'il se sentait mieux ancré et plus
solide pour chanter. Il me confirma aussi en souriant que son périnée
se tenait toujours tranquille ! Ouf ! (*)
(*)
C'était certainement vrai car les sons que j'entendais étaient plus
moelleux, plus libres ! J'ai même fini par tenter un sol3 légèrement
tenu, sur " â ". Il était indéniable que quelque chose d'important
avait changé. Ce sol3 n'était pas " gêné ", ne frottait pas, était à la
fois puissant et très libre et d'une coloration plus affirmée !
Nous
étions en train de gagner… mais je savais que ce n'était pas fini ! Que
l'articulation avec les consonnes risquait de compliquer les choses…
ainsi que la " réelle " position verticale.
Frédéric
découvrait, ébahi, de nouvelles sensations et des sons qu'il ne s'était
encore jamais entendu émettre aussi largement et, surtout aussi
facilement !
Sur la fin du cours, nous avons
fait ce jour-là toute une série d'exercices divers, afin de fixer au
maximum son tout nouveau ressenti ! A noter que j'ai obtenu une " bonne
" vocalisation en position verticale réelle, aidée seulement d'un léger
" amollissement " des rotules pour faciliter l'ancrage.
Vocalisation complète
Dans
les cours suivants, les relaxations et le taïchi étant toujours
continués en début de séance, nous avons travaillé sur des exercices de
vocalisation de plus en plus difficiles. Messa di voce, attaques et
sons filés, modulations diverses avaient désormais une place importante
dans chacune de nos séances ! En fait, nous parcourions tous les
exercices qu'un chanteur lyrique doit pouvoir chanter sans problème
pour travailler sa voix…
Voir le billet : " Le cours de technique vocale type "
Nos
exercices étaient maintenant tous réalisés en totale position
verticale, fessiers raffermis pour améliorer encore l'ancrage et
l'efficacité de l'appui. Naturellement, ce raffermissement des fessiers
ne devait en aucun cas provoquer une contraction du sphincter anal et
du périnée ! Ceux-ci devaient rester " libres ". Ce fut un peu
difficile à obtenir au début mais, assez rapidement, Frédéric m'affirma
que tout se passait bien de ce côté-là !
Vocalisation, le corps en mouvement
Très vite, j'ai demandé à mon chanteur de réaliser certaines vocalises le corps en mouvement :
Il
devait marcher, s'asseoir, se relever, marcher à reculons sur la pointe
des pieds, faire des gestes avec les bras, etc… tout en vocalisant !
Voir le billet " Voix et statique corporelle " (*)
(*)
Il retrace le travail que j'avais fait avec un choriste de l'Opéra
Bastille dont la forme était " une fois oui, une fois non ", sans
qu'une " maladie " quelconque soit en cause… un vrai dilemme pour lui !
Rapidement,
Frédéric fut capable, en conservant une émission correcte, de réaliser
avec son corps les mouvements les plus variés.
Des progrès qui semblent définitifs
Je
sentais que notre travail touchait à sa fin, ses moyens naturels
(exceptionnels) s'affirmant de plus en plus. Loin de le troubler, le
fait de chanter le corps en mouvement avait encore ajouté une certaine
liberté à son émission !
Il me disait souvent, depuis quelque temps, qu'il ressentait son appui tout à fait différemment :
- J'ai l'impression d'appuyer ma voix comme sur un pneu souple !
Ou, encore…
- C'est comme si je dribblais avec ma voix !
S'il
en était besoin, ces descriptions parlaient d'elles-mêmes ! Avec un
appui défectueux, les ressentis ne sont pas ceux-là ! (*)
(*)
En parfaite position d'appui dynamique, on a effectivement l'impression
d'envoyer souplement son chant rebondir vers le sol (un peu comme on le
ferait avec un ballon de basket en dribblant). L'expansion vocale est
la conséquence du retour vertical du geste d'appui. Interpréter son air
en s'adressant à un public situé assez loin termine le processus de
projection…
Quelques " Arie antique "
Pour
confirmer les progrès enregistrés, j'ai ajouté à notre programme
plusieurs Arie Antique. Très bien écrits pour la voix, ils ont fait
merveille pour nous aider à compléter - s'il en était encore besoin -
son nouveau ressenti d'appui. L'articulation ne le gêna pas du tout et
Frédéric était très heureux de sentir, tout comme moi, que sa voix ne
le trahissait plus. L'aigu restait ouvert et parfaitement libéré sur
toutes les sonorités.
Naturellement, je lui ai
demandé quelquefois de chanter ces Arie le corps en mouvement ou,
parfaitement immobile… c'était selon !
Reprise de l'air de la caravane de Marouf
Nous
avons repris - peut-être pour conjurer le sort - l'air de Marouf qu'il
avait chanté au bilan. Aucun " retour en arrière " ne fut à déplorer :
les aigus étaient maintenant parfaitement " Aperto-Coperto " (*)
(*) " Ouvert-Couvert, en français ".
Pour
le baryton, la " zone de couverture " se situe, dans une totale
ouverture de gorge, entre ré3 et mi3. Il ne s'agit, en aucun cas, d'un
assombrissement factice de la sonorité ! Seuls, une idéale ouverture de
gorge, qui invite la voix à se lover à " l'arrière et en haut " de
celle-ci (au palais souple) et un bon appui dynamique, suffisent à sa
réalisation !
On peut le vérifier en chantant un
arpège sur " â (de âme) ", en prenant, dès la note la plus grave, la
position décrite plus haut : pour l'exemple, fa2/la2/do3/fa3 conviendra
parfaitement ! Si, bien sûr, l'appui est correct, le deuxième passage
(entre ré3 et mi3, pour le baryton) sera inapparent, sauf, bien sûr,
pour une oreille très exercée !
Le " â " reste un " â " !
Voir le billet : " l'Aperto-Coperto… son approche technique "
Les voyelles dites " fermées "
Grâce
au travail assidu que nous avions fait sur les diverses modulations
(chantées à chaque cours) sur toutes les voyelles, les " i " et les " é
", voyelles jadis un peu " écrasées " avaient trouvé un bâillement
adéquat. Une très bonne homogénéisation était maintenant au rendez-vous
sur une bonne partie de la tessiture et notamment sur la zone de
passage ré3/mi3 ! Que demander de plus ?
Epilogue
L'aventure
de Frédéric avait duré huit mois, elle se termine au mieux. Sa voix est
désormais " guérie " complètement et, à mon sens, définitivement.
Cependant, je le vois encore de temps à autre pour un contrôle.
Je pense sincèrement qu'il pourra entreprendre la carrière lyrique dont il rêve. Il est encore très jeune…
A bientôt ?
Pour consulter les archives des billets actu… c'est ici !

Jean Laforêt