Chronique du Lundi 16 mai 2016
Mais quelle est la meilleure technique... je suis complètement perdu !
Romain N. (28 ans, chanteur semi-professionnel)
Bonjour monsieur,
J’ai
28 ans et je chante presque professionnellement depuis cinq ans. Je
suis tombé par hasard sur votre site et je dévore vos billets avec un
appétit qui ne diminue pas, bien au contraire. Un grand merci pour tous
les judicieux conseils que vous nous offrez si gentiment. Je suis «
baryton-martin » ou peut-être même ténor… Mon problème serait trop long
à expliquer par écrit. En un mot, je suis complètement perdu dans ma
façon de chanter et je souhaiterais tout reprendre à zéro car ma voix
me trahit de plus en plus. On me dit surtout qu’elle n’est pas
homogène. De plus, je dois très souvent, soit transposer mes morceaux,
soit pointer les notes aiguës, etc. Pourtant, chose étonnante, je ne
m’enroue que rarement. C’est à n’y rien comprendre !
Pourriez-vous
me recevoir pour un bilan vocal ? Je voudrais vraiment progresser car
le chant est mon gagne-pain, sans parler de la passion que j’ai pour
lui.
J’attends avec impatience votre appel. Mon N° est le 06…
Bien cordialement
Romain
Ma réponse
Romain,
Merci
de votre mail dont je viens de prendre connaissance. Je comprends bien
votre souci. Moi aussi, dans ma carrière, j’ai eu quelquefois besoin du
concours d’une « oreille amie » pour me conseiller ! On ne s’entend pas
vraiment bien soi-même et, parfois, on court doucement à la « casse » !
Je vous appellerai
demain pour que nous fixions un rendez-vous pour un bilan vocal qui
nous éclairera sur votre problème. Tranquillisez-vous ! Dans votre cas
où la fatigue n’intervient pas vraiment (vous vous enrouez rarement, me
dites-vous), un simple réajustement technique suffit parfois !
A très bientôt
Jean Laforêt www.jean-laforet.fr
Bilan vocal de Romain
J’ai
reçu Romain une quinzaine de jours après cet échange de mails. Grand et
souriant, il possède ce qu’il est convenu d’appeler « un beau physique
de théâtre ». Du théâtre, il en fait un peu, comme « artiste de
complément » dans des opéras… quand la chance lui sourit ! Il a aussi
participé à certaines comédies musicales. On l’engage également de
temps en temps pour des cérémonies, messes diverses, mariages.
Comme
cela ne suffit pas à boucler son budget, il fait assez souvent des
remplacements comme garçon de café et donne aussi quelques cours de
chant pour arrondir ses fins de mois… il faut bien vivre !
Il
me dit se sentir tantôt assez bien vocalement et tantôt beaucoup moins.
Il ne comprend pas ces changements de forme vocale qui ne correspondent
pas forcément à des fatigues physiques, des rhumes ou enrouements
divers ! Il me dit aussi avoir suivi sans succès les conseils de
plusieurs professeurs de chant pour essayer de placer sa voix. (*)
(*)
Ces changements de professeurs sont souvent perturbants pour un
chanteur, mais… humains ! On espère toujours trouver l’oiseau rare !
Finalement,
après avoir lu plusieurs billets sur mon site, il a été tenté par le «
Cours vocal intégral » (peut-être serai-je le nouvel oiseau rare ?) Il
m’a assuré « très sérieusement » vouloir tout reprendre à zéro, depuis
les premières bases du chant, afin de se forger enfin une technique
stable. (*)
(*) En fait, il semble complètement perdu, utilisant une façon de chanter qui fluctue sans arrêt… et pour cause !
Remettre
quelqu’un sur les rails n’était pas pour me déplaire ! Moi qui aime les
cas difficiles, j’allais probablement être servi !
Tests vocaux
Ils eurent lieu torse nu et ventre libre.
Comme
toujours, lorsque j’ai affaire à un chanteur lyrique, je lui demande de
chanter « a cappella » une partie d’un morceau de son choix. Romain a
choisi « ô sole mio » qu’il donnait souvent dans les concerts.
Il
se lança avec confiance. La voix était généreuse, le souffle,
abdominal. En revanche, dès le haut-médium, le son prit un aspect «
cravaté » que je connaissais bien… (*)
(*)
Voix « cravatée » signifie en jargon lyrique : voix serrée au niveau
de… la cravate. C’est un terme général ! Dans une certaine « forme » de
ce défaut (il y en a plusieurs), le larynx, maintenu en élévation
anormale s’accompagne d’une constriction du pharynx. De ce fait, dès le
haut-médium, la voix est appauvrie en harmoniques graves et sonne d’une
façon gutturale, comme « étranglée ». Le grave et le bas-médium sont en
principe épargnés ! C’était cette forme caractéristique – la plus
embêtante à mon sens - que j’avais tout de suite reconnue chez Romain !
Petite anecdote pour illustrer cela :
Un
élève (ténor) m’avait dit un jour, très sûr de lui : « Là, je prends
vraiment ma voix de ténor » (c’était aux environs de fa3, zone de
couverture du ténor)! En fait, en lieu et place d’un passage correct
dans le régime aigu, le geste qu’il réalisait à ce moment-là consistait
tout bonnement en un superbe cravatage, à la manière de Romain !
Mais, revenons à « O sole mio » !
Au
tout début de la mélodie, situé dans le grave et le médium, le
défaut avait été inexistant (le grave et le médium sonnaient
normalement). Il avait fait son apparition « en fanfare » dès le
haut-médium et s’était vraiment concrétisé au moment de « tenir » les
notes les plus aiguës « sol3 » ! (*)
(*)
On aurait dit qu’une voix de ténor, gutturale et contractée avait pris
le « relai » d’une voix de baryton beaucoup plus libre ! En somme,
c’était comme s'il utilisait deux émissions différentes :
l’une pour le grave et le médium et l’autre pour l’aigu ! Le manque
d’homogénéité dont il m’avait parlé dans son mail trouvait là une
éclatante explication !
A noter que sa voix conservait malgré tout une belle tonicité, ce qui n’est pas incompatible !
Son morceau terminé, sans rien lui révéler de mes cogitations afin d’étudier sa réaction, je lui ai dit tout au contraire…
- Eh bien, ce n’était pas si mal ?
- Oui, là, ça va ! Aujourd’hui, je suis assez en forme !
- OK ! Nous allons maintenant faire quelques exercices pour mieux cerner ton problème…
Nous
avons chanté des arpèges, des tenues, quelques modulations simples.
Partout et toujours, le même défaut, plus ou moins accusé selon les
voyelles (les « i » avaient le pompon), était présent dès le
haut-médium… donc « complètement intégré » à sa façon de chanter ! Cela
pouvait en effet lui occasionner quelques soucis. Je ne m’attendais
pas, en lisant son mail, à un problème aussi embêtant… car, il l’était
! Le simple « réajustement vocal » dont je lui avais parlé dans ma
réponse ne suffirait pas !
En fait, Romain avait
deux appuis principaux : son ventre, qu’il contractait à mort, et sa
gorge qui, dès le haut-médium, se resserrait et servait, elle aussi
d’appui à sa voix (appui dont elle se serait bien passé) ! (*)
(*) Avec un tel défaut d’émission, il n’était pas étonnant que sa forme soit « fluctuante » !
En
fin de bilan, je lui ai tout d’abord dit qu’à mon avis, il était
baryton… et que l’aspect « ténorisant » qu’il percevait était dû
essentiellement à une émission dite « cravatée ». Devançant les
questions qui se pressaient sur ses lèvres, je lui ai expliqué dans la
foulée et en détail de quoi il s’agissait… sans lui cacher l’importance
d’un problème que je connaissais heureusement très bien mais qu’il
serait néanmoins difficile de « dénouer » facilement, tant il faisait
partie de son émission… et cela, depuis longtemps !
Devant
sa mine subitement très inquiète, je l’ai rassuré en lui disant qu’avec
de la patience, nous pourrions sans doute le corriger. Pour cela, il
faudrait impérativement revoir – comme il le souhaitait d’ailleurs –
toute son émission de A à Z (respiration profonde, positionnement
laryngé, appuis)… enfin, tout !
Cela tient ici en quelques mots… mais quel problème en vérité ! (*)
(*)
Oui, il faudrait détendre la gorge, corriger l’ascension de larynx et
la constriction du pharynx puis réinstaller un appui dynamique correct.
Harmoniser ces points techniques essentiels représente un travail
titanesque, long et difficile lorsqu’il s’agit de défauts intégrés
depuis des lustres ! Bien placer une voix est une chose mais en «
replacer » une en est une autre ! Il s’agissait là - tout bonnement -
de tout désinstaller pour réinstaller de nouveau ! C’était déjà un
petit miracle que Romain ait pu être engagé en chantant ainsi ! Son
beau physique, ses qualités de timbre et un chant toujours juste (très
rare, car un tel handicap favorise souvent un manque de justesse…)
avait sans doute permis cela.
Néanmoins,
et pas seulement pour le rassurer, je lui dis que j’étais convaincu
que, son problème résolu, il pourrait pleinement réussir dans ce métier
! Je m’appuyais sur deux choses primordiales : son solide « matériel
vocal » d’une part, et, d’autre part, sa motivation qui me paraissait
sans faille ! Et puis, je connaissais bien le problème pour avoir eu à
le traiter plusieurs fois. (*)
(*)
Ceci dit, l’expérience m’a aussi appris que chaque personne est un cas
en soi et qu’il faut s’y prendre différemment à chaque fois ! Donc, un
point d’interrogation subsistait tout de même quant au résultat !
J’ajoutai :
- Si tu décides de me confier ta voix…
- J’en ai bien l’intention !
- Merci ! A ce moment-là, l’idéal serait bien sûr que tu arrêtes de chanter pendant notre travail mais…
- … (petite grimace inquiète)
- Mais je comprends que ça paraît ingérable !
- Ça oui, le chant représente une partie non négligeable de mon gagne-pain !
- Je te propose donc que nous fassions un essai sur trois mois sans que tu arrêtes ton activité.
- Ce serait super ! Mais…
- Je crois possible que nos cours te permettent de continuer tout en éliminant progressivement le problème.
- Sûr ?
- Je ne réponds de rien mais c’est jouable, j’ai déjà vu le cas !
- OK ! Je suis partant, tentons le coup !
Décision de travail
Nous
avons naturellement opté pour un « cours vocal intégral » qui, seul,
nous permettrait de reprendre « par le menu » son émission vocale. Un
tel travail complet était incontournable pour pouvoir « désenclaver »
correctement, et surtout le plus rapidement possible, son problème de «
cravatage » !
Voir le billet : « Le chant thérapie, un travail vocal intégral ».
Romain
avait une période tranquille. Pour l’instant, aucun contrat en vue
avant deux mois, cela tombait bien (si l’on peut dire) !
Le premier cours
Ne
comportant aucune vocalisation proprement dite, il se passa très bien
et mon chanteur fit preuve de beaucoup de concentration. Il coopéra au
maximum et son désir de faire au mieux faisait plaisir à voir.
La
relaxation fut réussie, ainsi que le taïchi pendant lequel il parvint
assez bien à contrôler le débit de son souffle dans la plupart des
exercices que je lui proposais.
Voir des détails à ce sujet dans le billet : « Je voudrais devenir ténor ! »
Tout commençait fort bien et je le sentais très content de ce début prometteur.
Je
savais pertinemment que notre problème montrerait le bout de son nez
plus tard, lors de la mise en relation de la voix et de l’appui (le
travail pneumo-phonique). J’étais certain qu’à ce moment-là, le défaut
ferait son apparition au galop, c’était obligatoire ! Il faudrait alors
patiemment aider Romain à lâcher les tensions de sa gorge pour lui
donner progressivement une conscience exacte de l’appui dynamique qui,
seul, devait soutenir la voix à l’exclusion de tout autre et, ceci…
avec une gorge souplement ouverte et une mâchoire tout à fait détendue !
Travail de l’accord pneumo-phonique
Dès
le troisième cours, après un taïchi respiratoire de plus en plus
pointu, j’ai abordé doucement ce travail de « mise en relation »
souffle voix. Tout d’abord, toujours en position allongée, je lui ai
proposé de « chanter » de simples séries de sons assez courts et sans
force, sur « â », un peu comme des râles… L’essentiel pour moi était
naturellement que ces sons soient émis depuis l’appui abdominal… sans
être « freinés » d’aucune façon par la gorge ! (*)
(*)
Je souhaitais que Romain ressente son corps faire « l’effort » de les
réaliser d’une façon reflexe, la gorge n’étant qu’un passage détendu.
Mais,
ce qui paraît évident pour la plupart d’entre nous ne l’était
malheureusement pas pour lui ! Sans produire un défaut aussi apparent
que dans le chant réel, sa gorge – dès si2 – freinait inconsciemment
l’expansion vocale. Il ne pouvait se résoudre à laisser l’appui seul «
faire les choses », malgré des sons faibles, somme toute faciles à «
soutenir » !
N’obtenant rien de probant avec les
exercices doux décrits ci-dessus (qui, habituellement donnent de bons
résultats), j’ai pris le contre-pied en lui demandant tout au contraire
de démarrer chaque son relativement fort ! Peut-être aurait-il ainsi
plus de chance de les chanter d’une façon moins réfléchie ?
Pratique
Pour
faire simple – car, au tout début, j’avais dû user de plusieurs ruses
pour déclencher ces sons réflexes – je lui ai demandé de réagir (en
voix d’appel s’entend) avec des « Ah !!! » prononcés fort et d’une
manière « excédée » à l’encontre d’une personne imaginaire dont il
rejetterait les propos avec véhémence, comme pour dire assez violemment
: « Ah… !!! (Vous m’embêtez !) »
Ouf ! Romain réussit bien ce test ultrasimple. (*)
(*)
Ces interjections sur « Ah » (qui étaient naturellement tout, sauf du
chant) eurent l’avantage de lui faire ressentir qu’elles s’appuyaient
dans son corps et absolument pas dans sa gorge !
Ce
n’était qu’un début, aisé, car réalisé presque exclusivement dans le
médium, do3 étant la note la plus aiguë atteinte avec cet exercice !
Dans la foulée, je lui ai demandé d’allonger la longueur des
exclamations en les tenant pendant deux ou trois secondes, toujours en
voix d’appel ! La réussite de ce nouveau test fut l’affaire de très peu
de temps. J’ai pu ensuite revenir à des sons attaqués plus doucement…
sans qu’ils soient pour cela conditionnés par un quelconque « cravatage
» !
Nous avancions ! Cependant, je savais que
cette prise de conscience, aussi intéressante soit-elle, n’était qu’un
début et que de nombreux exercices hyper surveillés seraient
nécessaires pour avoir des chances de donner naissance à un réflexe
pérenne.
Le premier de ces exercices fut tout
bonnement consacré à des attaques sur « â » suivies de tenues assez
brèves – deux secondes environ - sur un support de quintes ascendantes,
en partant du grave (la1) ! Je ne souhaitais rien précipiter. Seul, le
bon geste m’importait ! Une fois bien réussi, cet exercice fut suivi
par des « arpèges d’accords de quintes (en do majeur : do mi sol mi do)
» : une seule attaque cette fois-ci, la première note de l'arpège !
Test un peu plus difficile pour lui mais… réussi également!
Nous
avons atteint de cette façon des ré3, sans cravatage… mais, bien sûr,
toujours avec des sons en voix d’appel, loin d’être esthétiques !
J’étais ravi malgré tout… je n’en attendais pas tant, aussi rapidement !
Ma voix vient d’ailleurs !
Voilà
une phrase que Romain prononça souvent, pendant tout notre travail
d’approche sur l’équilibre pneumo-phonique ! Cette notion de «
différence » - qu’il percevait de plus en plus dans la perception de
son émission - était très importante pour la suite des événements ! (*)
(*) En effet, on
commence toujours par émettre presque inconsciemment le « geste vocal
correct » que l’on fait (ici, sous contrôle strict) avant de pouvoir le
« provoquer » soi-même, tout à fait consciemment cette fois-ci !
Travail sur le larynx
Le plus important commençait là !
J’ai
employé la voyelle « i » pour débuter. Avec cette voyelle « étroite et
latérale » émise d’une certaine façon, il est plus difficile qu’avec
tout autre de « contracter » la gorge. Le « é », voyelle également «
latérale » convient aussi, mais dans une moindre mesure à mon avis.
Pratique :
Cet
exercice est valable seulement si la voyelle est chantée langue
relâchée (pointe aux racines des incisives inférieures et dos en
contact léger des molaires du haut) ; ceci dans un léger sourire
détendu (pommettes
soulevées) et avec une ouverture buccale de la largeur d’un pouce
environ au départ.
Eh oui, il faut tout ça ! Il
était souhaitable pour nous de couvrir un ambitus allant du grave au «
haut-médium » (disons de la1 à ré3) pour inclure le problème de
cravatage qui commençait vers si2. (*)
(*) Important :
Dans
cet exercice sur « i », le dos de la langue, toujours doucement en
contact avec les molaires du haut, recule progressivement avec
l’ascension tonale, accompagnant l’ouverture buccale qui s’agrandit peu
à peu dans la progression vers l’aigu.
Il
est essentiel de vouloir chanter un vrai « i », malgré cette bouche
assez ouverte qui semble vouloir interdire cette couleur en la
conduisant invariablement vers « è » !
Nous
nous sommes lancés ainsi, sur un support de quintes ascendantes. Je
précise aussi que le soulèvement des pommettes doit se faire sans tirer
sur les commissures ! Nous avons commencé sur ré2 (ré mi fa# sol la sol
fa# mi ré) et progressé par demi-tons ascendants. (*)
(*)
J’avais prévenu Romain que les sons qu’il entendrait seraient pour le
moins inhabituels et sans doute désagréables à son oreille…
Ouf
! Nous avons ainsi atteint mi3 ! Le travail inverse a été ensuite
effectué en redescendant jusqu’à « si1 », toujours par demi-tons.
Romain s’est prêté à cet exercice, extrêmement bizarre pour lui, avec
sa concentration habituelle. Juste après, il me dit qu’aux environs de
la2/si2, il avait ressenti le besoin de serrer sa gorge pour donner de
la consistance au « i », mais qu’il n’avait pas pu ! (*)
(*) C’était parfaitement exact car « l’ouverture buccale conservée » l’interdit absolument !
Naturellement,
pendant tout ce travail, l’appui dynamique était loin d’être idéal (je
ne l’avais alors que succinctement abordé, me réservant de tout
repréciser plus tard) car… il fallait bien commencer et la lutte contre
la constriction du pharynx avait été ma priorité !
A chaque cours suffit sa peine !
Pour illustrer ce qui précède, lire très attentivement le billet :
« Le rôle de la langue dans l’émission vocale ». (*)
(*) Mon maître Tzico y explique d’une façon on ne peut plus claire l’un des secrets les plus importants de l’émission italienne.
Premiers pas vers l’appui dynamique
Un peu plus tard, je l’ai abordé avec Romain d’une façon on ne peut plus simple.
1)
Je lui ai demandé, en statique verticale la plus parfaite possible, de
souffler doucement, bouche en cul de poule : <<< fff… tout en
rentrant volontairement et très doucement l’abdomen. Puis, après une
expiration relativement complète, de se laisser inspirer sans bruit,
d’une façon réflexe, en le relâchant.
2) Puis,
après quelques essais comme expliqués ci-dessus réussis, de réaliser la
même expiration complète mais, cette fois-ci, sans rentrer le ventre et surtout sans le bloquer volontairement !
Je
lui ai expliqué – répondant à son regard interrogatif - que ces petits
exercices qu’il avait trouvés très facile (ils le sont) avaient pour
but de commencer à lui faire ressentir un « appui non bloqué » donc :
dynamique !
Ensuite, en appliquant strictement la même stratégie (*), nous avons chanté des sons tenus sur « ô » :
(*) « En bonne statique, émettre la voyelle sans rentrer le ventre mais surtout sans le bloquer volontairement. »
Le travail sur l’appui était lancé…
Cahin-caha
mais assez correctement, Romain a parcouru ainsi, sur « ô », l’ambitus
la1/ré3 sans cravatage, et avec un appui qui s’améliorait de cours en
cours. Il ne bétonnait plus son ventre… et laissait le son créer son
appui propre ! Enfin, il ne confondait plus le véritable « arrêt du
souffle » et le « vigoureux blocage abdominal » qu’il pratiquait
auparavant !
Un « mariage » satisfaisant !
J’étais
très heureux de ces résultats plus qu’encourageants. Heureux aussi que
Romain me fasse confiance et ne me demande pas de brûler les étapes.
Profitant
de cette embellie, j’ai alors décidé de « marier » les progrès réalisés
sur l’appui dynamique avec « ô », avec le travail sur les « i » (bouche
entrouverte) décrit précédemment.
Nous avons
chanté ainsi des quintes sur « i » avec, bien entendu, un contrôle
drastique de l’appui dynamique à peu près réussi désormais.
Le
résultat fut meilleur que je ne l’avais imaginé ! Au lieu de compliquer
le problème comme je le craignais, ce « mariage » fut une réussite
totale ! Nous avons travaillé, sans difficulté insurmontable, de si1 à
mi3… (*)
(*)
Romain s’habituait à ces sons (qui, sans qu’il le sache encore,
constituaient la « base » de ceux que tout bon chanteur se devait
d’émettre…) même s’ils lui avaient paru d’une laideur absolue tout au
début !
Pour les rendre vraiment corrects
et les « arrondir », il suffirait de les « bâiller » un peu plus,
notamment dans le haut-médium et l’aigu, quand le moment serait venu.
Pour l’instant, l’avancée étonnante qui se profilait me suffisait
amplement !
Modulations avec é
Le moment était venu de faire des modulations ! La première que j’ai ajoutée à notre programme fut tout simplement :
«
i é i é i » ! Sur une même note, il s’agissait de faire succéder la
voyelle « é » à « i » dans un légato… le meilleur possible et cela dans
un tempo assez lent. Le point à respecter était de ne pas faire varier
l’ouverture de la bouche qui devait rester identique pour les deux
voyelles pendant le chant (seul, le dos de la langue - en contact doux
avec les molaires du haut - a un très léger mouvement de recul sur « é ». (*)
(*)
Naturellement, notons bien que la bouche est un peu plus ouverte (au
tout départ de la modulation s’entend…) dès l’instant où l’on aborde le
haut-médium, sans varier pendant le chant lui-même.
Romain
a assez rapidement réussi ce travail – sans problème majeur – de ré2 à
ré3 ! L’appui dynamique, de mieux en mieux cerné, l’aidait
considérablement à laisser sa gorge ouverte. Nous progressions
beaucoup. J’entrevoyais maintenant – et de plus en plus - une solution
heureuse à son problème de cravatage !
Une modulation déterminante
Parallèlement
à notre travail de base qui était continué, j’ai ajouté plusieurs
modulations faisant intervenir davantage de voyelles. Elles avaient, au
stade où nous en étions, toutes les chances d’être réussies. La
première d’entre elles fut « i é â è i ». Cette modulation incluait
pour la première fois « â » et « è », deux voyelles larges et ouvertes…
Bien entourées par les voyelles i/é qui « canalisaient » leur sonorité,
elles s’épanouirent relativement bien.
Je ne
m’étais pas trompé ! Nous avons pu chanter assez correctement cette
modulation dans un ambitus conséquent : « la1/mi3 » ! Romain avait
l’impression de ne plus contrôler sa voix de la même façon… et pour
cause !
Voir des précisions dans le billet : « Une très belle voix en devenir »
Enregistrement
Pour
le rassurer sur la qualité de son timbre, nous avons enregistré
l’exécution de cet exercice de modulation et il se rendit immédiatement
compte de l’homogénéité et de la liberté de sa voix et aussi de l’éclat
tout nouveau des voyelles ! Il me disait en plaisantant qu’il avait
l’impression de ne plus rien contrôler du tout… mais que le contrôle
était néanmoins là ! (*)
(*)
Eh oui, le contrôle était bien là mais ne se situait plus aux mêmes
endroits ! Il était devenu presque totalement correct et équilibré, à
ma plus grande joie !
Lire attentivement le billet : « Respiration et appui vocal » où la relation constante qui doit exister entre appui abdominal et la « place vocale » est traitée en détail.
Un peu d’articulation
Parallèlement
à notre programme général qui avançait beaucoup, il m’a semblé
indispensable d’ajouter progressivement quelques exercices
d’articulation. J’ai employé la quinte syllabique « Lô à lô » extraite
de la gymnastique vocale d’Yva Barthélémy. L’articulation très large
réclamée pour chanter ces quintes est loin de favoriser une ascension
laryngée. Elles se révèleraient donc excellentes pour la suite de notre
travail ! Ces quintes syllabiques nous permettraient aussi, sans grand
risque (ce qui n’était pas négligeable), d’améliorer la tonicité du
faciès et la souplesse de l’appareil vocal (musculature extrinsèque du
larynx).
Voir, pour l’exécution de ces quintes, le billet :
« L’articulation dans le chant »
Romain
réussit fort bien ce nouvel exercice sans perturber l’appui dynamique
et… sans cravater ! Nous chantions dans un ambitus aisé (la1/ré3
environ) tout d’abord dans une position penchée, tête et bras lourds
puis dans la position verticale.
La technique s’assoit
A
partir de ce moment, notre programme s’est étendu à tous les exercices
que chanteur lyrique se doit d’exécuter pour travailler et fortifier sa
voix. Le cravatage n’apparaissait plus du tout.
Pour ce programme vocal, voir le billet : « Le cours de technique vocale type »
Les arie antiche
Parallèlement
à ce programme étendu, j’ai décidé d’entreprendre l’étude d’un aria
antica ! Les progrès de Romain étaient tels au bout de trois mois de
cours, qu’une vérification s’imposait sur un vrai morceau :
Allait-il cravater, oui ou non ?
J’ai
choisi « Amarilli » pour son tempo relativement lent et… ses nombreux «
i » ! Ouf ! Ce que je redoutais un peu malgré tout n’est pas arrivé :
aucun cravatage !
Romain était apparemment sauvé !
Son corps semblait avoir définitivement enregistré les bonnes sensations !
Dans les cours suivants, nous avons poursuivi avec « Caro mio ben » où le même bon résultat fut obtenu !
Ave Maria
Quelque
temps après, le morceau qui suivit nos deux « Arie antiche » fut «
l’Ave Maria » de Schubert que Romain chantait souvent dans les
cérémonies religieuses. Même « vérification » probante, pas de
cravatage ! Le « Panis angélicus » de César Franck – qu’il chantait
également dans les services religieux) suivit avec le même succès !
Le répertoire
Romain
était aux anges. Je l’ai encouragé à réviser posément (pour nous
rassurer) tout le répertoire qu’il donnait dans ses concerts. Nous
avons commencé par « O sole mio » qu’il avait chanté au bilan et qui en
faisait bien sûr partie… Là également, le défaut avait complètement
disparu et il en fut de même pour les autres morceaux qui défilèrent
pendant les cours suivants ! (*)
(*)
Il restait à savoir si, au cours d’un concert en public, toute cette
belle émission perdurerait. Il y avait un risque, par exemple qu’un
manque de forme, le trac, ou une difficulté quelconque au cours d’un
morceau l’incite à recourir de nouveau au cravatage…
Un concert privé
Trois
jours avant son prochain concert (une ultime vérification en public),
Romain voulut consacrer une leçon entière (de deux heures) à une
répétition « générale », accompagné par son pianiste habituel. Il
comptait ainsi se mettre – autant que faire se peut – dans les mêmes
conditions. Il m’avait demandé pour l’occasion s’il pouvait inviter
quelques amis. Un public… la fête serait complète !
J’avais bien sûr accepté avec plaisir et retenu, pour l’occasion, une salle plus grande… pour accueillir la foule !!
Félicitations unanimes
Cette
répétition fut une réussite. Le « pompon » de la soirée fut sans doute
les conversations qui suivirent. Ses amis et connaissances, qui
l’avaient entendu souvent chanter auparavant, n’en revenaient pas ! Les
félicitations fusaient de toute part, on louait sa voix, etc. Je reçus
ma part des compliments et j’en fus, mon Dieu, très heureux ! J’aime
tellement quand les progrès sont là ! Et ils y étaient !
La
répétition avait été enregistrée et filmée. Romain me téléphona le
lendemain, après avoir visionné tranquillement - et plusieurs fois - la
cassette et me dit ne pas revenir du changement profond qui s’était
opéré dans sa voix. Il était naturellement fou de joie. Il avait bien
sûr conscience des progrès qu’il avait faits, mais les constater ainsi,
en tant que… spectateur était tout autre chose !
Oui,
et il pouvait être fier, sa belle voix s’exprimait désormais sans aucun
trouble... et sa forme
restait stable !
Epilogue
La belle histoire de Romain se termine… bien !
Il
vient encore me voir de temps en temps pour se faire contrôler… Tout
marche bien pour lui et les contrats se succèdent, paraît-il, à un
rythme très amélioré…
Je suis toujours persuadé qu’une belle carrière l’attend…
A bientôt ?
Pour consulter les archives des « billets actu »… c’est ici !

Jean Laforêt