Chronique du Mercredi 02 novembre 2016
Ma voix est très fragile
Frédéric N. (20ans, chanteur moderne)
Monsieur,
Je
me permets de vous contacter en espérant que vous pourrez m’aider. J’ai
vingt ans et je voudrais devenir chanteur. On dit que j’ai une jolie
voix juste et que je devrais la travailler. Mon problème est qu’elle
est très fragile. Je suis souvent enroué. Les ORL que j’ai vus ne
trouvent rien. Je viens de lire plusieurs de vos billets et j’aimerais
vous rencontrer pour avoir votre avis car cela m’angoisse un peu.
Peut-être que je m’y prends mal ? Pourriez-vous me recevoir pour un
bilan ? Je suis au 06… Bien à vous.
Frédéric N.
Ma réponse
Bonjour Frédéric,
Je
viens de prendre connaissance de votre mail à l’instant. Surtout, ne
paniquez pas ! La fragilité de votre voix peut être due à différentes
causes souvent parfaitement amendables. A votre âge, aucun problème
vocal – sauf grave, ce qui n’est apparemment pas le cas - ne résiste
longtemps à un travail sérieux ! En effet, il est possible que votre
façon de chanter soit responsable de votre fatigue. Le bilan vocal nous
éclairera là-dessus. Je vous appellerai demain pour que nous prenions
rendez-vous.
Bien cordialement
Jean Laforêt www.jean-laforet.fr
Bilan vocal de Frédéric
J’ai
reçu Frédéric une quinzaine de jours après cet échange de mails. C’est
un grand garçon sympathique et souriant. Dès les premiers mots
échangés, j’ai compris que son problème vocal l’inquiétait, mais pas
outre mesure. Il m’a paru heureux de notre rencontre et j’ai ressenti
qu’une réelle confiance l’habitait. J’ai aussi constaté chez lui une
nervosité certaine, l’incitant à remuer sans cesse et à parler très
rapidement en « boulant » un peu ses mots. Il m’a confirmé que sa voix
se fatiguait très vite, sans qu’il ait l’impression de faire des
efforts démesurés en chantant.
Il a ajouté
qu’il tenait absolument que nous travaillions ensemble quel que soit le
résultat du bilan ! Il voulait s’assurer une vraie technique en
revoyant tout de A à Z, et ne souhaitait pas seulement quelques
conseils pour résoudre son problème.
- Tu chantes beaucoup ?
- Je répète mon répertoire tous les jours, dans ma cave que j’ai aménagée en studio de musique !
- Super ! Explique-moi ! ton programme journalier consiste en quoi ?
- Je fais d’abord un bon échauffement sur des sons faciles…
- Ça, c’est bien !
- Et je chante sur play-back une quinzaine de chansons de rock que j’aime bien.
-
Quel genre de rock ? Je te pose ces questions car je ne connais pas
grand-chose aux différents styles. Ce sont des chansons un peu hard ?
- Plutôt, mais pas toutes ! Et puis, quand je commence, je suis bien chaud !
- D’accord ! Tu veux bien me donner un aperçu ?
- OK !
Après
avoir branché son téléphone sur ma chaine audio pour avoir le play-back
d’accompagnement, Frédéric me chanta une chanson, effectivement assez
hard, dont j’ignorais l’existence jusqu’à cette minute !
Quand
il eut terminé, son sourire me dit qu’il pensait s’être bien tiré de «
l’épreuve » ! Certes, sa voix était solide, de belle qualité et la
justesse au rendez-vous mais, malgré ces qualités non négligeables, son
émission montrait une pléiade de défauts très embêtants. En fait, il
les collectionnait pratiquement tous : la statique, la respiration,
l’appui et une ascension du larynx dès le haut-médium. C’était la
totale ! Un forçage permanent sur une voix en gorge découlait de tout
cela !
Je ne lui ai rien dit sur l’instant
mais, étant donné la nature des dégâts que je constatais, je fus tout
de suite certain qu’en les amendant – à condition qu’il m’écoute et
coopère - de pouvoir l’aider efficacement à résoudre son problème ! (*)
(*)
Chanter son « répertoire » (de cette façon) tous les jours constituait
un effort gigantesque, même pour une voix solide ! On n’est pas
indestructible, surtout à vingt ans !
Il était venu à temps ! C’était l’essentiel !
Les tests vocaux
Ils eurent lieu torse nu et ventre libre.
Je
lui ai demandé tout d’abord de me redonner un extrait de sa chanson,
afin d’affiner mon idée sur sa respiration et ses appuis. Le constat
fut sans appel : torse nu, c’était encore plus net… Son buste reflétait
à 100% la « torture » qu’il infligeait à son corps pour produire le
résultat escompté ! Les basses-côtes ne s’ouvraient pas et un serrage
important était nettement visible au niveau du plexus solaire qui, loin
de montrer un bombement souple au moment de l’effort vocal, était
totalement contracté… Et, bien sûr, j’en passe !
J’avais rarement vu ça… et pourtant, je connais un peu la chanson !
Nous
avons fait ensuite quelques arpèges afin de déterminer, entre autres,
sa tessiture. Frédéric était incontestablement ténor ! Mais un ténor à
l’aigu étriqué et tronqué qui n’atteignait que difficilement « sol3 » !
Les « i » et les « é » étaient engorgés dès do3 !
Je me répète : c’était vraiment la totale ! (*)
(*)
Pour avoir échappé aux divers traumatismes vocaux (nodule, œdème, etc.)
avec le malmenage - doublé du surmenage - qu’il lui infligeait, ce
garçon possédait fatalement un appareil vocal d’une grande solidité !
Il était néanmoins certain que sa voix n’aurait pas résisté très
longtemps à un tel traitement ! Oui, Frédéric était venu à temps…
Moi qui aime les difficultés, j’allais être servi !
Un mini-cours
Après
lui avoir expliqué la nature de ses problèmes d’émission (sommairement,
pour ne pas trop l’effrayer), j’ai employé le temps restant de ce tout
premier rendez-vous à lui faire chanter quelques exercices situés dans
le médium de sa voix, dans le but de corriger immédiatement… autant que
faire se peut, ce qui pouvait l’être, en espérant qu’il retiendrait
certaines petites choses !
Je lui ai notamment
montré, patiemment et en insistant beaucoup, comment effectuer une mise
en condition vocale sur « Brroum », ainsi que la bonne façon de chanter
des moïtos, bouche fermée et bouche ouverte en lui conseillant vivement
de se contenter de ces échauffements pour le moment. (*)
(*) Ces exercices sont peu précis, mais assez efficaces et surtout sans risque.
Je
savais très bien que tout serait à repréciser en détail lors des
prochaines leçons mais ces quelques conseils lui seraient sûrement très
utiles dans l’immédiat.
Je lui ai également
fait promettre d’alléger son programme journalier en le limitant à des
chansons moins nombreuses et surtout… moins hard ! (*)
(*)
Je n’avais pas eu le cœur, passionné comme il l’était, de lui demander
d’arrêter complètement de chanter son « répertoire » pendant un certain
temps. S’il m’écoutait, en se limitant un peu, il pourrait essayer
d’appliquer, sur des chansons plus « calmes », ce qu’il acquerrait
progressivement en cours… sans mettre sa voix trop en danger.
Il
m’a promis très sérieusement obéissance complète et, au ton solennel de
sa réponse, j’ai tout de suite été persuadé qu’il respecterait le
contrat. Son regard subitement plus inquiet me disait qu’il avait pris
conscience de l’importance de son problème et du travail sérieux qu’il
aurait à accomplir pour en venir à bout.
Décision de cours
Le moment était venu de prendre une décision sur le déroulement de nos futurs cours.
Je
lui ai expliqué, plus en détail cette fois-ci, ce qu’il faudrait
corriger dans son émission (pour faire court, reprendre celle-ci de A à
Z, en insistant beaucoup sur les bases) ! En fait, c’était un peu ce
qu’il m’avait demandé au tout début ! Pour le rassurer (pas seulement,
car je le pensais vraiment), j’ai ajouté que j’étais tout à fait
convaincu de pouvoir l’aider à régler complètement ses problèmes !
Nous
avons opté pour un « Cours vocal intégral », comprenant relaxation,
taïchi, gymnastique vocale, etc. Frédéric me dit être tout à fait
conscient de l’utilité de ce travail complet qui nous assurerait à la
fois un gain de temps considérable et un résultat de bonne qualité !
«
Il était tout à fait indispensable, dans son cas, qu’il intègre, avant
toute vocalisation sérieuse, l’ensemble de la technique vocale de base.
Quelques exercices plus ou moins « réparateurs » ne lui auraient
apporté qu’un répit ! De plus, les nerfs qu’il avait à « fleur de peau
» nous diraient certainement merci dans quelque temps ! »
Voir le billet :
« Le chant thérapie… un travail vocal intégral »
Malgré
l’importance de la tâche (qui ne lui échappait plus du tout
maintenant), je l’ai senti comme soulagé et prêt à relever le défi !
- Vous pensez que j’y arriverai ?
-
Si tu m’écoutes et si tu fais les efforts nécessaires, j’en suis sûr !
Tu as une belle voix, très solide de surcroît. Il faut seulement te
donner les bons « outils » pour qu’elle ne se fatigue plus !
-
En refaisant toute la technique depuis le début ? je comprends ! En
fait, c’est ce que je voulais, sans m’imaginer qu’il y aurait autant de
travail !
- Ce n’est pas la mer à boire, tu verras !
- Je pourrai devenir chanteur ?
-
Tu as tout pour cela. D’abord la jeunesse, ça compte, crois-moi ! un
beau physique moderne, une excellente oreille, une voix solide et une
motivation inébranlable !
- La motivation, ça oui ! Pourtant, d’autres n’ont pas ces problèmes de fatigue…
- C’est vrai ! Certaines voix (belles ou parfois laides) sont « équilibrées » naturellement… C’est rare, mais ça existe.
- Quand peut-on commencer ?
- Quand veux-tu ? la semaine prochaine ?
- OK !
Frédéric m’a quitté rassuré et, me semble-t-il, confiant dans ses chances de parvenir à un bon résultat.
Le premier cours
Comme
beaucoup d’élèves, il n’avait jamais fait de relaxations et cette toute
première a été un peu difficile. Il eut beaucoup de mal à se détendre
et, bien qu’il essaie de se laisser aller de son mieux, on sentait que
son corps ne se tranquillisait que difficilement ! De légers
soubresauts réflexes étaient assez souvent au rendez-vous et ce n’est
qu’au bout d’une quinzaine de minutes qu’un certain calme s’établit
enfin !
J’ai ensuite commencé le « taïchi »
avec des exercices très doux destinés, tout en favorisant une
respiration plus profonde, à peaufiner cette détente si durement
acquise. Là, j’ai été comblé car ils remplirent leur rôle au-delà de
mes attentes ! Assez rapidement, une respiration plus calme, et de bien
meilleure qualité, fut au rendez-vous !
Ouf, gagné ! J’allais pouvoir « installer » dès aujourd’hui certains petits reflexes utiles !
Premiers exercices d’appui
Je
me suis tout d’abord contenté d’une simple mise en relation du souffle
avec l’appui abdominal en demandant à Frédéric (couché sur le dos et
genoux soulevés pour établir une bonne position du dos) de respirer
calmement mais assez bruyamment, bouche et gorge grandes ouvertes (â
<<). Je souhaitais qu’il prenne ainsi conscience du « libre
cheminement » de son souffle.
Le deuxième volet
de l’exercice, consista à réaliser les expirations avec fff
<<<, lèvres rapprochées, ce qui freinait un peu le débit et
commençait à préciser un certain appui. (*)
(*) Notons que les inspirations, dans cette deuxième phase, doivent rester totalement silencieuses.
Aux
fff <<< succédèrent des PSS <<<, de longueurs
variables. Le débit était alors encore diminué et, de ce fait, la
sensation d’appui… augmentée. (*)
(*)
Les « réactivations diaphragmatiques » (inspirations réflexes
silencieuses précédant les attaques) étaient loin d’être parfaites mais
ces exercices faciles nous permirent tout de même de bien avancer.
Voir des explications plus détaillées sur ce travail dans le billet :
« L’expiration contrôlée du chanteur »
Frédéric
avait l’air de s’amuser… et c’est ce qu’il fallait ! Il réussissait
finalement assez bien nos petits exercices, ce qui m’a permis, dans la
foulée, de lui demander de les sonoriser un peu. Pour cela, nous avons
simplement remplacé « PSS » par « BZZ ». (*)
(*) Ces « Bzz » furent les premiers « sons » appuyés correctement qui passèrent par sa gorge ! Il fallait bien commencer !
Je
me suis risqué ensuite à lui faire remplacer les « BZZ » par des « Bzzô
» afin d’essayer d’établir, dans le médium de sa voix, un tout début
d’accord « pneumo-phonique » avec l’ajout de cette voyelle. La réussite
fut « discrète », mais relativement correcte. La voyelle « ô », très
douce, ne l’effaroucha pas trop ! Très étonné, il m’apprit qu’il
ressentait dans son corps des sensations inconnues jusqu’alors !
- Ça me fait tout drôle !
- Tu sens quoi ?
- On dirait que mon ventre fabrique les sons !
- Il ne les fabrique pas mais se contente de les soutenir… au lieu que ce soit ta gorge qui le fasse !
- J’ai l’impression de ne rien pouvoir gérer !
- Ç’est normal ! Tu t’y feras ! Sois patient !
Ce
premier cours avait finalement duré deux heures ! J’avais du temps
devant moi et j’avais été heureux qu’il en profite ! Ces heures nous
avaient paru courtes…
Une belle progression se dessine !
Les cours suivants furent de plus en plus intéressants !
Les
relaxations étaient désormais beaucoup plus calmes. Son corps avait
appris à se détendre. Le plexus solaire était plus souple, favorisant
une respiration à la fois plus profonde et plus détendue. Frédéric se
donnait à fond, passionné par notre travail de base ! Il découvrait
plein de choses et, chez lui, dans sa cave, en oubliait même un peu son
fameux « répertoire ». Il me confia qu’il l’avait beaucoup remplacé par
des révisions… de ce que nous faisions en cours ! (*)
(*)
Il passait désormais beaucoup de temps à se relaxer et à refaire nos
petits exercices respiratoires et d’appui, sans oublier le
pré-échauffement avec « brroum », etc… que je lui avais montré au tout
début !
Il n’avait que vingt ans… son sérieux m’impressionnait et j’étais de plus en plus convaincu de notre future réussite !
«
Je l’ai cependant mis gentiment en garde en lui disant de faire très
attention car, en travaillant techniquement seul, il risquait d’oublier
– ou de mal faire - certaines choses importantes, ce qui risquait de
retarder sa progression »
Apparemment, ça n’avait pas été le cas jusqu’ici ! Donc…
Les premiers sons appuyés sur « A »
Assez
vite, le taïchi en position allongée avait beaucoup progressé.
Maintenant, il était capable de chanter, sans erreurs grossières,
différentes « sirènes » et de petits arpèges simples sur « ô » dans le
médium de sa voix. Son appui se comportait assez bien. Il n’était pas
tout à fait dynamique et manquait encore de souplesse, mais les plus
gros défauts étaient désormais en voie de disparition ! (*)
(*) Les réactivations diaphragmatiques (reprises réflexes d’air) étaient bien meilleures !
Le moment était venu de commencer à lui enseigner comment « crier » consciemment sur « â » !
Bien
sûr, le danger était qu’il se remette à « cravater » pour « assurer »
cette voyelle ouverte ! Pour pallier cela, je lui ai demandé de
commencer dans le grave de sa voix, avec des sons ressemblant un peu à
des râles. L’exercice consistait à les rendre progressivement de plus
en plus fort à chaque attaque, jusqu’à obtenir un son final puissant…
que j’ai nommé « Le cri du corps » dans un précédent billet.
Naturellement, je surveillais drastiquement « l’opération » afin de ne
pas lui laisser réaliser un crescendo sur un appui incorrect ! (*)
(*)
Ce cri, lorsqu’il est bien exécuté, ne fait aucun mal à la « voix » :
c’est même sa caractéristique principale ! Les élèves en sont toujours
très étonnés lorsqu’ils le réussissent !
Pour avoir des explications complémentaires sur ce sujet important, voir le billet :
« Le cri du corps »
Pour
son compte, Frédéric le réussit assez bien après quelques essais. Le
fameux « cravatage » que je redoutais n’eut pas lieu ! Mon chanteur
fut, comme la plupart de ses prédécesseurs, extrêmement surpris de ne
ressentir aucune gêne dans sa voix pendant le son « forte » !
Je
lui ai expliqué que dans cet exercice, sa gorge, « sécurisée » par un
appui correct (réalisé dans un corps « ouvert »), n’avait plus aucune
raison de se contracter pour en trouver un !
-
C’est tout ton corps qui a réalisé ce « cri » ! Ta voix a bénéficié, à
ce moment-là, d’un équilibre parfait, d’où cette facilité d’émission…
sans aucune douleur ni risque à la clé !
- C’est dingue !
-
Naturellement, pour chanter, il est nécessaire de « domestiquer » cela
! Le chant est un « cri contrôlé » (Pavarotti parlait même, paraît-il,
de « cri cultivé »). Donc, « l’aspect cri » doit être toujours présent
mais « l’aspect contrôle » aussi !
- Je comprends…
-
On apprend à contrôler ce « cri », dans un premier temps en le
vocalisant sur toutes les voyelles, puis en le nuançant, etc. (Il ne
doit jamais disparaître complètement, sauf dans des voix de tête
extrêmement légères) ! La finalité du travail consiste à glisser les
mots… Autrement dit, le contrôle du cri (celui-ci représente, tu l’as
compris, la voix bien émise) résume presque tout le travail vocal !
- Je n’y arriverai jamais !
-
Mais si ! Ton corps a une mémoire, il va progressivement repérer et «
retenir » ce qui est bon pour lui… donc pour toi ! Crois-moi, c’est un
travail de base que tu n’oublieras plus ! L’essentiel est de donner les
bonnes indications… et pour ça, je suis là !
Début de vocalisation « réelle » !
Bientôt,
il n’exista plus aucune raison de reculer le moment d’un vrai début de
vocalisation en position verticale ! Etant donné toutes les mauvaises
habitudes « engrangées » chez Frédéric, je redoutais un peu ce moment
malgré son excellent travail en amont. Pour mettre tous les atouts de
son côté, je lui ai fait débuter cette vocalisation genoux légèrement
fléchis, comme s’il était « assis » sur un siège virtuel situé assez
haut. (*)
(*) Cette position améliore énormément l’ancrage.
Au
début, je me suis naturellement contenté d’exercices très faciles qu’il
avait déjà réussis en position allongée et qu’il pouvait « ressentir »
au maximum ! Ce furent, pour commencer, (après l’indispensable petit
échauffement sur Brroum, etc.) de simples quintes ascendantes sur « ô »
dans un ambitus situé entièrement dans le médium de sa voix !(*)
(*)
J’affectionne particulièrement cette voyelle « ô » au début d’une
vocalisation générale. Douce et ronde, elle facilite de surcroît (si
elle est bien faite) un meilleur placement du larynx. Avec Frédéric, à
ce stade, le but n’était pas de produire des prouesses vocales mais
simplement de fixer le mieux possible le « bon » geste en position
verticale.
Nous avons parcouru ainsi, sans
problème, un ambitus raisonnable (si2/ré3). Un peu au-dessus, en
abordant la zone de passage, ça se gâtait… et c’était tout à fait
normal ! Je n’ai pas essayé d’autres voyelles ce jour-là, me contentant
de ce résultat, excellent… si l’on se souvient de la quantité de
défauts d’émissions dont Frédéric était « affublé » au tout début de
nos cours !
Mon jeune chanteur m’étonnait un peu plus chaque semaine !
Début des modulations
Nous
révisions bien sûr nos trouvailles à chaque leçon. Chez lui, rien ne se
perdait, aucun déchet ! Apparemment, son travail personnel ne le
perturbait pas du tout, bien au contraire ! Ouf !
« Il apprenait à devenir son propre professeur… et c’est ce qu’il fallait ! »
Avant
de pousser plus loin notre recherche de l’aigu, j’ai décidé de lui
faire chanter quelques « modulations » dans le médium et haut-médium
dans le but de perfectionner la distribution de son souffle tout en
unifiant son émission. Pour commencer, j’ai choisi une modulation assez
longue… qui a fait ses preuves.
Il s’agit de : â é i ô u ou on an â (*)
(*)
Une modulation consiste à chanter sur une même note, sans reprendre
haleine et dans un legato le plus parfait possible, une succession de
voyelles. Dans la modulation ci-dessus, c’est la voyelle â… qui module
(se transforme) successivement en é, puis en i, etc.
Cet
exercice legato obligeait Frédéric, sans jamais serrer sa gorge, à
gérer au mieux le débit de son souffle ! Nous avons chanté cette
modulation dans un tempo relativement lent, en commençant au la2.
Ensuite, descente par demi-tons jusqu’au si1 puis, ascension jusqu’au
ré3 ! Ce ne fut pas « très » facile mais le résultat se révéla tout de
même satisfaisant ! Sur l’attaque de ré3, son larynx montra quelques
velléités d’ascension, mais sans plus !
Je
savais fort bien que je ne résoudrais pas son problème d’ascension
laryngée en l’attaquant de front mais en contournant l’obstacle. Nous
verrions ça prochainement. Etant donné son excellent travail général,
j’avais bon espoir !
Pour l’exécution des modulations, voir le billet :
« Le cours de technique vocale type »
Des nerfs qui se calment !
Rien
de surprenant à cela, mais il faut tout de même souligner le fait !
Frédéric semblait moins « nerveux » ! Il parlait plus posément en
boulant moins ses phrases, ses gestes étaient plus mesurés, etc. Il
n’en faisait aucun cas… mais, pour moi, c’était évident : notre travail
de fond agissait favorablement sur son calme intérieur. (*)
(*) Cela est très important pour un chanteur, beaucoup plus qu’on ne se l’imagine !
Laissons venir… tout allait bien !
La position du larynx
Quelque
temps après, nous avons abordé très sérieusement le travail délicat du
positionnement du larynx pendant le chant. Il ne pouvait être entrepris
qu’après avoir résolu l’essentiel des problèmes de statique, de
respiration et d’appui du souffle. C’était fait maintenant… en grande
partie.
« Le positionnement du larynx (lié à
l’ouverture de gorge) dans le chant est un « geste » primordial que
j’ai été amené à enseigner souvent. »
J’ai
décrit à différentes occasions l’une des techniques que j’emploie pour
freiner son ascension et lui assurer la position libre qui lui est
nécessaire pour remplir son double rôle de sphincter et vibrateur.
Je n’expliquerai pas de nouveau ici ce processus. Il figure en détail - entre autres - dans le billet :
« Mais, quelle est la bonne technique… je suis complètement perdu »
Frédéric
entreprit ce travail avec son entrain habituel ! Naturellement, la
position de la langue, pointe lovée dans le menton (touchant son fil)
le troubla un peu en chantant des « i » car le son que l’on produit
ainsi est déroutant à souhait. Mais, exemples et encouragements aidant,
nous avons pu parcourir avec cette voyelle (sur des quintes
ascendantes) un ambitus plus que raisonnable ré2/fa3 !
Eh oui, fa3… sans aucun serrage ni engorgement ! (*)
(*)
La zone de passage avait pu être abordée et même bien entamée ! Le fa3
cité ici était sonore et assez bien enraciné. J’étais certain que les «
é » suivraient, ainsi que les « â » et, un peu après, les « è » !
Le
travail suivant fut tout naturellement l’ajout des autres voyelles
importantes, le « i » restant la voyelle directrice ! Pour cela, j’ai
choisi de faire chanter à Frédéric trois quintes ascendantes enchaînées
à la suite l’une de l’autre sur i…é…â dans un tempo relativement
rapide. Au tout début, nous sommes partis du bas-médium de sa voix
(ré2) en progressant par demi-tons jusqu’au ré3.
Quand celui-ci (ré3) a été réussi d’une façon récurrente sur les trois voyelles, la zone de passage a été abordée.
Je
redoutais que notre « â » ne pose problème au moment de cette zone de
transition. Ce fut le cas au tout début mais, assez vite, cette voyelle
ouverte suivit la bonne direction… le chemin creusé par les deux
précédentes ! Mi3 et fa3 furent atteints correctement avec « â » !
C’était certes un succès mais qui devrait être évidemment vérifié sur des sons « tenus » ! Une autre paire de manches !
Nette progression
Lorsque
le travail sur trois quintes d’affilées dont je viens de parler n’a
posé plus aucun problème, j’ai « ralenti » progressivement le tempo, ce
qui augmentait d’autant la difficulté !
Frédéric
s’appropria rapidement cette nouvelle formule, ce qui m’amena assez
vite à lui demander de tenir un peu la note la plus aiguë de la
troisième quinte : un « â » en l’occurrence ! Après quelques
atermoiements bien compréhensibles, ces « rétablissements » sur la note
aiguë furent de mieux en mieux réussis, jusqu’à donner une tenue
modeste d’environ trois secondes ! (*)
(*) C’était peu… mais le son n’était pas cravaté et le larynx restait tranquille ! Nous tenions le « bon bout » !
Un peu plus tard, retour aux modulations
Elles
se révélaient indiquées, voire indispensables à ce stade de notre
travail, notamment pour « tisser » la zone de passage et assurer la
stabilité des aigus !
Le moment était également
venu d’inclure le « è », la voyelle la plus ouverte du triangle
vocalique. Cette couleur « è » - que, pour mon compte, j’avais beaucoup
redoutée lors de mes études techniques – se doit d’être enseignée pour
éviter les futures catastrophes… notamment lorsque certaines phrases
chantées se terminent sur elle dans le registre aigu !
Certains
chanteurs, dans ce cas de figure (un aigu sur « è »), l’abordent en la
transformant presque totalement en « é ». C’est moindre mal si le
bâillement et le dosage de couleur est bien fait pour respecter la
sonorité. Cependant, très souvent, ce n’est pas le cas et l’on entend
soit un « é » trop fermé soit un « è » trop ouvert. Donc, il faut
travailler cette couleur, seule façon d’habituer la voix à la produire
spontanément. (*)
(*) La couleur « oê » correctement bâillée semble être une assez bonne solution.
Voir à ce sujet des informations plus détaillées dans le billet :
« La couverture de la voix, deuxième partie. »
La modulation: i é â è i
Dans
un premier temps, pour « installer » ses « è », j’ai fait travailler
Frédéric sur la modulation : i é â è i afin d’inclure notre « è » sans
danger ! La réussite, cette fois-ci, fut au rendez-vous très rapidement
sur mi3/fa3/fa#3 puis sur sol3, ce qui indiquait que la « guérison » de
mon chanteur avançait à grands pas. (*)
(*)
En effet, réussir correctement cette modulation sur la zone de
couverture (pour le ténor : mi3/sol3) indique déjà un très bon
conditionnement vocal !
Au bout de
quelque temps, toujours en chantant cette même modulation, je lui ai
demandé de tenir un peu la voyelle « è ». Il y parvint tout d’abord un
très court moment puis, progressivement, de plus en plus longuement.
Tenue, elle gardait sa place !
Nous étions
vraiment en train de gagner car, techniquement, tenir un « è » correct
dans le registre aigu signifie qu’un excellent équilibre vocal est
réalisé. Mal faite, cette voyelle retomberait immédiatement en gorge (*)
(*)
Pour sonner et vibrer correctement, le « è » doit garder à la fois sa
hauteur et… sa liberté d’émission ! Chacun comprendra que toute
contrainte pour conserver la couleur « è » serait catastrophique !
Les cours suivants
Ils
furent consacrés à des séries d’exercices tendant tous à structurer la
voix. Arpèges divers, messa di voce, modulations diverses et exercices
d’articulation se succédèrent à la plus grande joie de Frédéric qui
découvrait et mettait en pratique, de cours en cours, une tout autre
émission que celle qu’il pratiquait auparavant… et cela, sans la
moindre fatigue !
Il terminait ses leçons en pleine forme !
Les arie antiche
Malgré
sa prédilection pour le rock, j’ai demandé à mon chanteur de commencer
à apprendre Amarilli, un air antique italien que j’aime beaucoup et qui
m’a semblé, en l’occurrence, convenir pour la suite des opérations. Il
nous permettrait de vérifier sa toute nouvelle émission sur une mélodie
bien écrite pour la voix… dans une langue elle-même très favorable au
chant.
Il sourit en me disant qu’il serait ravi,
pour une fois, de chanter du classique… surtout en italien dont il
connaissait quelques bribes ! J’avoue mon étonnement… je ne m’attendais
pas à une si rapide adhésion !
Ce morceau ne
dépasse pas mi3 dans la version orchestrée que je possède ! C’était
parfait pour « débuter » ce tout nouveau travail !
Amarilli sur l’établi
Dès
son arrivée au cours suivant, Frédéric me dit qu’il savait déjà « pas
mal » sa mélodie. Il l’avait apprise en l’écoutant de nombreuses fois
sur Internet.
Ce garçon me surprendrait toujours !
Moi
qui pensais que cette nouvelle tâche l’ennuierait (au moins un peu),
j’en ai été pour mes frais ! Il semblait, tout au contraire, absolument
ravi et avait, semble-t-il, hâte de commencer ! J’étais évidemment très
heureux moi aussi car un travail gagne toujours à être fait avec un
certain enthousiasme…
Aussi, après l’essentiel de nos exercices d’usage, nous avons consacré un bon « vingt minutes » à Amarilli !
Le décorticage :
Ce
jour-là, j’ai tout d’abord demandé à Frédéric de « vocaliser » la
mélodie sur « â ». Comme extension de nos exercices, c’était parfait…
et autrement plus flatteur à chanter que des quintes et des arpèges !
Je suivais la ligne de chant au piano en corrigeant aussitôt toute
faute technique un peu flagrante… Il y en eut peu et il était ravi de
s’exercer sur de vraies phrases chantées !
Le
deuxième volet de l’exercice consista à changer assez souvent de
voyelle au cours du morceau sans « trahir » le legato ! Même réussite !
Les modulations de toute sorte que nous avions pratiquées avaient fait
leur travail !
La mélodie pourrait être abordée dans son intégralité au cours prochain, avec accompagnement orchestral sur play-back…
Un chanteur classique…
Eh
oui, tout arrive… Au cours suivant, accompagné par le play-back
orchestral, Frédéric fut à la fois très heureux et tout excité de se
lancer dans l’Opéra (comme il disait) ! Je dois dire que ce fut un «
lancement » réussi ! Notre mélodie se révéla être un excellent support
; il la chantait avec beaucoup d’application et de plaisir. Je ne
décrirai pas ici chaque étape de ce travail sur ces phrases « lyriques
». Il suffit de savoir que Frédéric s’appropria très vite (et bien) ce
magnifique Aria Antica. J’ajouterai (avec un sourire) que certains
chanteurs de mes élèves, plus classiques de vocation… ne l’ont
maîtrisée que bien plus difficilement !
« Caro
mio bene », un autre Aria Antica bien connu s’ajouta bientôt à notre
travail ! Cette fois-ci, des sol3 figurant au programme, certains
ajustements des aigus se révélèrent bien sûr nécessaires ! La tâche
n’en fut pas moins menée à bien assez rapidement, et toujours avec le
même plaisir !
Pour enrichir encore son «
répertoire classique », j’ai demandé à Frédéric d’apprendre « Ombra mi
fu », un très bel air signé « Haendel », que tous les grands chanteurs
d’Opéra ont interprété (ce qui d’ailleurs est également vrai pour les
deux précédents…).
La voix de Frédéric, belle
de couleur et assez puissante de nature, ne le trahissait pas et
convenait parfaitement ! Les nuances étaient notamment de mieux en
mieux respectées. La voix, désormais bien placée, s’assouplissait de
plus en plus. Nous avions gagné !
Ses « fatigues » étaient désormais de l’histoire ancienne…
Epilogue
Vous
l’avez compris, nous arrivons à la fin de la belle histoire de
Frédéric. Sa nouvelle technique de chant - qu’il maniait maintenant
comme un chef – non seulement lui épargnait toute fatigue, mais lui
permettait également de chanter sans problème l’essentiel de son
répertoire de rock ! Dans sa cave, les deux « genres » devaient se
côtoyer allègrement !
A bientôt ?
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Jean Laforêt