Chronique du Jeudi 28 décembre 2017
Gros souci vocal
Luc V. (Chanteur moderne, 22ans)
Bonjour monsieur,
Je
m’appelle Luc et je viens d’avoir 22 ans ! J’ai toujours aimé chanter
(je chante depuis tout gosse) mais je pense sincèrement que le chant ne
m’aime pas. J’ai suivi des cours mais sans aucun progrès. Benjamin A.
que vous connaissez, m’a chaudement parlé de vous, j’ai cherché votre
site Internet. Après avoir parcouru plusieurs de vos billets, je dois
avouer m’être pas mal reconnu dans certains (naturellement, les cas les
plus difficiles) qui, semble-t-il, avaient été pas mal résolus. Du
coup, j’ai eu envie de vous contacter pour faire un bilan vocal, malgré
le peu d’espoir que j’aie de m’améliorer ! J’aimerais beaucoup avoir
votre avis de professionnel sur ma voix et ma façon de chanter ! Aussi,
finalement, je suis impatient de faire ce bilan. Vous pouvez me joindre
au 06….
Très respectueusement
Luc
Ma réponse :
Luc,
Merci
de votre mail que je viens de lire à l’instant. Entre nous, ne
pensez-vous pas que vous êtes un peu défaitiste ? Vous savez, même dans
les cas vraiment difficiles, avec un bon travail, énormément de choses
peuvent s’arranger ! Je vous donnerai mon point de vue, impartial
soyez-en sûr, à l’issue du bilan, après vous avoir entendu chanter et
testé votre voix. Je vous appellerai demain sur votre 06… pour fixer un
rendez-vous. J’espère pouvoir vous rassurer ! Surtout, gardez l’espoir
!
Bien cordialement
Jean Laforêt www.jean-laforet.fr
Bilan vocal de Luc
J’ai reçu Luc environ quinze jours après cet échange de mails.
«
Nous avions eu, entre temps, plusieurs conversations téléphoniques où
j’avais eu tout le loisir de me rendre compte que ce jeune homme était
un vrai passionné de la voix en général et de la sienne en particulier…
ce qui semblait lui causer les pires soucis ! Il avait suivi des cours
de chant avec plusieurs personnes sans jamais constater de progrès
significatifs. Il m’a dit, entre autres, que je risquais d’être son
dernier professeur… »
Le jour de notre rendez-vous, je vis arriver un grand garçon d’allure sportive… très bougeant et d’un abord très sympathique !
Pendant
la conversation qui précède les tests vocaux, confortablement assis…
mais s’agitant sans cesse, il me redit pour la énième fois, et avec
maints « exemples » à la clé, tout le mal qu’il pensait de sa voix et
de lui en général…
Premier test : un chant libre
Il a chanté - sur play-back - une chanson de Brel qu’il affectionne et que moi, j’adore : « La chanson des vieux amants ». (*)
(*)
Bien sûr, tout était loin d’être parfait mais je m’attendais tellement
à une catastrophe… que j’ai finalement été agréablement surpris !
Il
chantait juste, c’était déjà important. Le timbre n’était pas folichon,
un tantinet nasillard. Il respirait mal mais un goût certain dans
l’interprétation rattrapait beaucoup de choses (il avait une âme
d’artiste) ! En fait, Luc m’a semblé bien trop difficile avec lui-même.
Si l’on n’exagère pas, ce n’est pas un défaut que d’être
perfectionniste… mais, lui exagérait beaucoup ! On n’était pas loin du
blocage psychologique qui stoppe ou pour le moins « limite beaucoup »
les progrès ! (*)
(*)
Il y a quelques années, j’avais fait travailler une jeune femme qui, au
début de nos cours, à la moindre erreur dans un exercice - erreur
réelle ou supposée par elle - se mettait dans tous ses états ! Il lui
était même arrivé de frapper alors rageusement le sol du pied, comme…
une malade ! Aucune exagération dans ces mots, ils ne sont que pure
vérité ! Je me souviens que nous étions tout de même parvenus à un
résultat satisfaisant, mais non sans peine ! Il m’avait fallu une bonne
dose de patience !
Luc n’en était heureusement
pas là ! Mais pourtant, la moindre chose qu’il n’aimait pas dans son
chant - ou ratait un peu - semblait le déranger vraiment. Par exemple,
pendant sa chanson, il n’avait pu s’empêcher parfois de ponctuer, par
des mimiques révélatrices, son mécontentement intérieur.
NOTE
Si
je me suis un peu étendu sur cette caractéristique de notre chanteur,
c’était pour expliquer que le travail qui nous attendait – si toutefois
il décidait de suivre des cours – ne porterait pas seulement sur le
côté technique ! La psychologie compterait aussi pour une belle part
dans nos rapports !
Par ailleurs, je sais par
expérience que le fait de réaliser rapidement des progrès fouette le
moral des chanteurs les plus défaitistes en leur prouvant qu’ils
avaient tort d’être aussi sceptiques sur leurs capacités… qu’en fait,
ils sont bien meilleurs qu’ils ne le pensaient ! (*)
(*)
Dans le cas de Luc, « Eurêka » ! De nombreux points pouvaient être
améliorés dès les premiers cours. En effet, son absence totale de
technique et ses nerfs à fleur de peau m’offraient un vaste champ
d’action.
De surcroît, malgré les côtés
négatifs qu’il ne cessait de mettre en avant, je sentais bien qu’une
motivation folle l’habitait tout entier et que son plus cher désir
était que ça s’arrange ! Il m’avait dit, sa chanson terminée… avec une
colère rentrée :
- Vous avez vu ! C’est complètement nul !
- Je ne suis pas tout à fait de cet avis ! Faisons maintenant quelques tests pour mieux situer les possibilités de ta voix…
- OK !
Tests vocaux de vocalisation
Ils eurent lieu torse nu et ventre libre.
Ils mirent tout de suite en exergue une respiration haute et une prise d’air beaucoup trop importante à chaque inspiration. (*)
(*)
Ce dernier défaut passe souvent inaperçu. Pourtant, j’ai maintes fois
constaté qu’il était responsable de bien des maux ne touchant pas
seulement l’action vocale mais aussi le bien-être général de la
personne ! Il faudrait réguler cela au plus vite… c’était important !
Pour
ces tests, notre ambitus de travail couvrit approximativement sol1/mi3.
Apparemment, Luc était baryton-basse. Sa voix bénéficiait d’une
puissance « confortable ». Les « i » et « les « é » étaient très
serrés, comme chez beaucoup d’élèves, et les « a », malmenés dès la2 !
J’ai remarqué aussi un visage dont la musculature était à « réveiller »
et à tonifier !
Bien que la justesse se soit
révélée quelquefois assez approximative, je n’ai pas jugé cela
inquiétant, ces écarts me paraissant essentiellement dus à son
placement vocal qui était loin d’être idéal.
Parfois
un peu nasillard, le timbre n’était pas, comme dit plus haut, d’une
beauté fracassante mais je fus tout de suite persuadé que le travail
vocal l’améliorerait grandement en l’homogénéisant.
En
somme, il n’y avait là rien de vraiment catastrophique ! La principale
catastrophe était bien dans la tête de Luc et… elle était de taille !
(*)
(*) Les choses ne valent souvent que par l’idée que l’on s’en fait. (Jean Laforêt)
Décision de travail
En fin de séance, je lui ai détaillé les principaux points positifs et négatifs qui se dégageaient de son bilan.
Tout
d’abord, je lui ai dit que ce qu’il décrivait comme un « gros »
problème vocal était à mon avis parfaitement amendable et que, si l’on
travaillait selon certaines règles, tout pourrait s’arranger !
J’ai
insisté sur le fait que son problème n’était pas seulement technique…
que son tempérament nerveux et défaitiste aggravait vraiment les
choses. Pour y remédier, j’ai suggéré - si toutefois ce bilan était
suivi de cours - que nous entreprenions un travail intégral, tout comme
son ami Benjamin l’avait fait. (*)
(*)
Dans le cas de Luc, le côté psychologique (le tempérament nerveux et
colérique qui le caractérisait) imposait presque cette solution pour
espérer obtenir un bon résultat assez rapidement. Il devait lâcher,
lâcher, c’était évident pour moi ! La technique seule, si bonne
soit-elle, serait insuffisante pour résoudre son problème.
- Oui, Benjamin m’a parlé de ses cours avec vous. Il en était enchanté !
- Lui aussi était nerveux… mais tout de même moins que toi !
- Vous pensez que les relaxations m’aideraient ?
-
Je fais plus que le penser ! J’en suis persuadé ! Tu as un vrai
tempérament d’artiste, malheureusement un peu excessif dans les
appréciations négatives que tu portes sur ta voix…
-
Je ne suis tout de même pas très doué et ma voix n’est pas très belle !
Elle ne me plaît pas du tout sur les enregistrements que je fais chez
moi !
- Pour l’instant, elle manque un peu de
rondeur et ton timbre n’est pas très homogène. En plus, tu chantes un
peu du nez ! D’accord ! mais, crois-moi, tout cela s’arrange avec du
travail et… un peu de calme !
- C’est vrai que je ne tiens pas en place et que je m’énerve pour un rien ! Même le sport ne m’apaise pas vraiment !
- Tu n’es pas le premier et tu ne seras pas le dernier dans ce cas !
- Franchement, vous croyez que je peux progresser ?
- Evidemment, j’en suis certain.
- Alors, OK, je viens ! J’ai confiance et puis, je voudrais tellement arranger un peu tout ça ! On commence quand ?
- Jeudi prochain 15h. Ça te va ?
- Ok, ça marche !
Voir le billet : « Le chant thérapie… un travail vocal intégral »
Luc m’a quitté, me semble-t-il, plus serein et
l’espoir en hausse. Pour mon compte, j’étais pratiquement sûr qu’il
ferait rapidement des progrès… ce qui serait excellent pour son moral !
Le premier cours
Le
« bougeant » Luc commença son premier cours par une relaxation digne
des meilleurs. Le massage qui suivit porta le coup de grâce à sa
nervosité. A la fin de celui-ci, il me dit en souriant qu’il se sentait
« tout ramollo » et qu’il ne serait certainement pas au top pour
chanter ! Je lui ai gentiment répliqué que cette impression de mollesse
était due au fait que, vivant perpétuellement avec une bonne dose de
tension nerveuse, il ressentait cette soudaine détente comme un
ramollissement tout à fait inhabituel…
Nous
avons fait ensuite un taïchi entièrement voué à la respiration. Il
avait un besoin urgent d’apprendre à respirer plus profondément pour de
multiples raisons… pas seulement vocales ! Une respiration plus ample
et plus profonde et plus calme commencerait à coup sûr à l’aider à
canaliser son auto-agressivité !
En taïchi, il
comprit très vite comment se servir de son ventre pour respirer ! Le
vrai travail allait pouvoir commencer rapidement !
Pratique des exercices respiratoires très simples que nous avons faits en taïchi :
Le corps allongé sur un plan relativement ferme :
1)
Après avoir pris une inspiration abdominale profonde (par le nez, joues
creusées, pour cet exercice), souffler en libérant silencieusement un
tout petit filet d’air, doucement et complètement avec fff <<<
(lèvres en cul de poule). Accompagner cette expiration d’une rentrée
volontaire très lente de l’abdomen, la poitrine restant haute et bien
ouverte. (*)
(*) On
peut facilement contrôler le mouvement avec une main posée sur la
poitrine et l’autre sur le ventre. Seule, la main placée sur le ventre
s’enfonce très doucement…
2)
En fin d’expiration, attendre deux ou trois secondes puis relâcher
doucement l’abdomen en se laissant inspirer sans bruit, par la bouche.
La poitrine reste dans la même position pendant que l’air reprend
doucement sa place en bas du torse.
3) Pratiquer
ainsi plusieurs fois de suite pour bien s’approprier le mouvement puis,
continuer les expirations sur fff <<< mais, cette fois-ci,
sans accompagner l’expiration d’une rentrée volontaire de l’abdomen !
Le maintenir, sans blocage des abdos, dans la position qu’il avait en
fin inspiration (*)
(*)
Celui-ci rentrera malgré tout mais beaucoup plus lentement que
précédemment, en tension douce… créant un « appui » un peu plus
conséquent ! Expirer longtemps ainsi fff <<<, c’est un
excellent exercice…
4) La phase précédente étant
bien intégrée, on remplacera fff par Pss. L’expiration sera
sensiblement plus bruyante. Bien insister sur la prononciation du « P »
de Pss. Cette consonne nous indiquera la base musculaire d’appui de
cette expiration (important). (*)
(*)
Pendant les expirations, être très attentif à la petite tension que
vous percevrez juste au-dessus de la symphyse pubienne (bas ventre).
5)
On pourra ensuite faire, toujours avec Pss <<<, des
expirations de durées différentes, mais toujours silencieuses :
longues, courtes, moyennes… Aux expirations longues, correspondront des
inspirations longues ; aux expirations courtes, des inspirations
courtes, etc. (*)
(*)
Les plus longues expirations pourront atteindre 20 secondes et parfois
plus ! S’entraîner sérieusement pour parvenir au meilleur résultat
possible!
6) Remplacer ensuite Pss <<< par Bzz ! Un vrai son (bruit de moustique) sera ainsi créé. Pratiquer de même.
7)
En tout dernier, on pourra remplacer Bzz par une voyelle pure, attaquée
doucement mais très nettement. Je me sers personnellement de « ô » !
Luc
réussit parfaitement ces exercices, simples seulement en apparence.
Certains élèves ont beaucoup de mal à les maîtriser correctement !
Ce
n’était que le tout début mais nos cours commençaient bien ! La
première pierre, indispensable à notre futur travail, venait d’être
assez correctement placée !
Petit coup de gueule
Je
n’ai, bien sûr, pas soulevé la question devant lui… mais il est évident
qu’aucun des enseignants qu’il avait consultés auparavant ne lui avait
appris – même partiellement - la respiration du chant. Si ça avait été
le cas… il en aurait conservé des traces (pour ne pas dire plus, car
c’est un élève doué et très perfectible) ! Ici, il avait vite assimilé
la marche à suivre ! (*)
(*)
Je constate ces « manquements » assez souvent et j’en suis consterné !
Je trouve inadmissible et navrant que certains professeurs omettent de
placer chez l’élève cette « toute première pierre » sans laquelle «
aucun édifice vocal » ne peut être correctement construit ou
reconstruit ! A leur décharge, il arrive quelquefois que certaines
personnes, n’ayant jamais suivi de cours, réalisent « naturellement »
le bon geste ! Mais, cela reste excessivement rare et, dans ces cas-là,
il convient de leur expliquer le « pourquoi » de ce qu’elles font si
bien « naturellement » !
Ce n’était pas le cas de Luc… et de la majorité des élèves que j’ai fait travailler !
Après seulement quelques cours
C’était une évidence ! Au bout de quatre ou cinq leçons, Luc avait déjà beaucoup progressé.
Tout
en maintenant relaxations et massages en début de séance,
(indispensables à son équilibre général), ainsi que les principaux
mouvements de taïchi, nous pratiquions maintenant, à chaque cours, une
vocalisation de base pour vérifier, en position verticale, les bonnes
sensations acquises en taïchi car… n’oublions pas que, debout, tout se
complique !
Cette vocalisation consistait tout
d’abord en un pré-échauffement sur Brrou <<< (produire comme
un bruit de moteur en faisant vibrer les lèvres) ; suivaient des sons
bouche fermée, avec hum <<< puis bouche ouverte, « NG ». Avec
ces exercices, nous parcourions un ambitus situé approximativement de
la1 à fa3 à l’aide de quintes, sirènes et d’arpèges divers.
Luc maîtrisait de mieux en mieux la respiration de chant et les appuis.
Suivait
un travail d’échauffement avec la voyelle « ô » que j’affectionne tout
particulièrement en tout début de travail vocal. Douce et ronde,
chantée correctement, entre autres sans contraction exagérée des
orbiculaires, (creuser un peu les joues suffit amplement), elle
favorise une bonne position du larynx. Elle est surtout utile dans le
médium et haut médium. Eviter de la chanter dans l’aigu car, sans une
bonne maîtrise du bâillement, il existerait un risque de « tubage ».
Notre progression
Elle
fut rapide. Luc parvint assez vite à réaliser de bons exercices
d’échauffement sur la voyelle « ô ». Bientôt, quintes et arpèges se
succédèrent sans problème majeur. Un ambitus assez conséquent était
parcouru à chaque leçon : en moyenne sol1/mi3 (voire fa3 dans les bons
jours, lorsque le bâillement était correct). Je ne cherche jamais à
obtenir des aigus mirobolants avec cette voyelle !
C’était un fait ! Je voyais tout doucement cette voix de baryton-basse se transformer en une belle voix de baryton-lyrique. (*)
(*) Ses possibilités vocales se révélaient bien plus importantes que je ne l’avais imaginé au tout début de nos cours !
Une vocalisation sous surveillance
Les
étonnants progrès de mon chanteur ne m’empêchaient pas de continuer de
lui faire réviser très rapidement, à chaque leçon, en position
verticale, les gestes techniques de base les plus importants qui, pour
la plupart, avaient été acquis en position allongée.
Cent fois sur le métier… (*)
(*)
Oui, réviser pendant un certain temps - en position de chant – les
exercices de base est très utile. J’insiste… car j’ai maintes fois
constaté – comme dit plus haut - que la vocalisation réelle déformait
bien souvent les « bonnes sensations » qui semblaient pourtant avoir
été bien fixées en taïchi !
Ce rappel
d’exercices était suivi de quelques attaques sur des mots courts
commençant par une consonne. Par exemple, dans un premier temps, le mot
« Ma » (entre autres) convient parfaitement pour cela. (*)
(*)
Ces attaques toutes simples, réalisées dans le médium, ont le mérite de
faire ressentir de façon précise le départ de l’appui situé à la
symphyse pubienne, à condition que l’on s’attarde sur le « voisement »
de la consonne, en faisant un peu « désirer » la voyelle ! Dans cet
exercice, ce voisement (en gras), doit être clairement perçu : M a / D
a, etc.
Rappel, car c’est important ! Juste
avant de lancer la voix, en nuance mezzo-forte de préférence, bien
ressentir la contraction réflexe qui se produit au niveau du bas-ventre
à ce moment-là ! Je conseille même d’en prolonger un peu la durée. Elle
situe « le socle » de l’appui.
Les modulations
J’ai
commencé à faire travailler les modulations à Luc, dès le dixième ou
onzième cours, donc… très vite. C’est dire ses excellentes dispositions
vocales…
La première que nous avons travaillée a
été « a é a é a » puis « a i a i a » afin de l’aider à desserrer ses «
i » et ses « é » tout en corrigeant une petite nasalité qui
n’arrangeait pas la beauté de son timbre. Cette modulation a aussi
l’avantage « d’inviter fortement » l’élève à laisser sa gorge ouverte !
On peut difficilement « serrer » en la chantant !
Pratique :
Elle est relativement simple à comprendre, moins simple à exécuter correctement :
Avec
une ouverture de bouche d’une largeur de deux doigts environ, narines
bien ouvertes, pommettes soulevées dans un léger sourire laissant les
dents apparentes (attention, ne pas tirer sur les commissures) et la
pointe de langue lovée sans aucune raideur, contre son fil (dans le
menton) :
Chanter très legato, sur une même
note aisée du bas-médium, la modulation « a é a é a », dans une amorce
de bâillement, sans faire varier l’ouverture de la bouche.
On
constatera immédiatement que le dos de la langue se soulève sur « é »
et reprends sa place sur « a ». C’est parfaitement normal !
Parcourir
ainsi, par demi-tons, un ambitus confortable dans le médium pour bien
assimiler l’exercice. On pourra ensuite commencer une fois avec « a »
puis alterner avec « é ». (*)
(*)
Notons qu’en progressant vers l’aigu, la bouche devra être un peu plus
ouverte au départ de la modulation. L’essentiel est de ne pas faire
varier cette ouverture pendant celle-ci.
Avec cet exercice, nous ne recherchons pas spécialement la « beauté » des sons mais une liberté générale d’émission !
Pour davantage de détails sur ces modulations, voir le billet :
« Une très belle voix en devenir »
Homogénéiser le timbre
J’ai utilisé pour cela une autre modulation :
« a é i ô u ou on an â »
Surtout
utile dans le grave et le médium, elle avait pour premier objectif
d’aider à homogénéiser le timbre de Luc. Il réussit à la chanter assez
facilement dans un ambitus raisonnable (la1/la2). L’amorce de
bâillement induit par « a » dès le début, et les voyelles nasales
(on/an) qu’elle contient contribuèrent grandement à arrondir ses « i »
et ses « é » qui étaient demeurés un peu criards ! (*)
(*)
Je rappelle en quelques mots qu’une modulation est une série de
voyelles que l’on doit chanter legato sur la même note. Dans l’exemple
ci-dessus, le son « a », chanté dans une amorce de bâillement, module
en é-i-ô, etc.
Voir le billet : « Le cours de technique vocale type » où l’exercice de modulation est assez détaillé.
La gymnastique vocale
La
suite logique, pour Luc, était maintenant d’intégrer la gymnastique
vocale. Celle-ci, entre autres, contribuerait grandement à fortifier la
musculature de son visage qui en avait grand besoin. Son articulation,
un peu molle actuellement, y trouverait son compte… en précision et en
clarté ! (*)
(*)
En effet, cette gymnastique réclame une articulation « large et musclée
» qui contribue à tonifier tous les muscles du visage : zygomatiques et
orbiculaires sont les premiers concernés… d’où une facilitation
générale de l’articulation, qu’elle soit lyrique ou moderne !
Luc
apprit sans grande difficulté et très vite (deux cours suffirent) tous
les éléments qui la composent. Bientôt, elle constituerait pour lui un
échauffement de choix !
Pour davantage de précisions, voir le billet :
« L’articulation dans le chant ».
Des progrès constants
Nous
étions sur une voie royale ! Indépendamment de l’étendue et de la
puissance vocale qui se développaient régulièrement, son timbre
s’affirmait en qualité et devenait de plus en plus beau ! C’était une
vraie transformation qui s’opérait assez vite sous nos yeux !
A
chaque leçon, après un bref échauffement, notre vocalisation consistait
maintenant en une série d’exercices choisis en fonction de ses besoins
propres. (*)
(*) En fait, nous faisions ce que tout chanteur digne de ce nom se doit de faire pour entretenir sa voix !
On retrouve la plupart de ces exercices dans le billet : « Le cours de technique vocale type ».
Avec
Luc, tout progressait en flèche ! Avec sensiblement les mêmes «
supports », il montait plus haut, tenait ses notes plus longtemps, etc.
Il me dit un jour :
-
Heureusement que je suis venu vous voir ! Je peux bien le dire
maintenant, je croyais que je n’arriverai jamais à m’en sortir !
- Moi, j’étais pratiquement sûr du contraire ! Je suis également certain que tu te sens mieux au point de vue nerveux ?
- Pas de comparaison. Sentir que ça avance m’excite mais ce n’est pas la même excitation ! Celle-là est jouissive !
- Alors, tu es content ?
- Yes ! c’est génial ce qui m’arrive !
- Super ! Maintenant, si tu veux, on pourrait peut-être arrêter le travail allongé et se contenter de vocaliser ?
- Non ! Il me manquerait trop ! Ça me met en condition, vous ne pouvez pas savoir !
- Si, je sais !
Un aria antica
Quelque
temps plus tard, Luc me demanda si je serais d’accord pour que nous
travaillions une chanson très en détail, afin que celle-ci lui serve de
« morceau de référence » (il avait lu ce terme sur certains billets).
Naturellement,
je fus tout à fait partant ! J’allais d’ailleurs incessamment lui
proposer ce travail car il était prêt pour cela. Je lui ai seulement
demandé si, à la place des chansons françaises qu’il avait l’habitude
d’interpréter, un bel air antique italien lui conviendrait… Je lui ai
vanté les nombreux avantages qu’il en retirerait : tout d’abord chanter
en italien, une langue très favorable pour le chant, ensuite,
l’importance de la tenue du souffle dans ces airs-là, le legato de
voyelles, etc.
Enfin, tout ce qu’il ne
trouverait pas dans une chanson de Brel, si belle soit-elle ! J’ai
d’ailleurs ajouté que cela ne nous empêcherait pas d’en mettre
quelques-unes à notre programme…
Contre toute
attente, Luc fut vraiment enchanté de ma proposition. Il me dit avoir
eu secrètement envie d’apprendre un air classique mais qu’il pensait
vraiment ne pas en être capable !
- Au contraire ! Tu as toutes les qualités nécessaires !
- Vous croyez ? Ça risque d’être dur pour moi !
- Pas plus que nos vocalises… crois-moi, tu es tout à fait prêt pour cela !
- Qui aurait pensé ça il y a quelque temps !
- Moi ! J’ai toujours su que tu y arriverais si tu t’accrochais ! Et, tu t’es accroché…
- … petit sourire… yes !
-
On commencera la prochaine fois ! Je te propose « Amarilli »(*), un bel
« Aria antica » de Caccini. D’abord parce que je l’aime bien et surtout
parce qu’il te permettra de faire de gros progrès ! Commence à
l’écouter sur Internet ! Nous le « décortiquerons »
tranquillement la prochaine fois, ligne par ligne !
- Je ne parle pas du tout italien !
- Rassure-toi, le texte est très simple !
(*)
Je propose très souvent cet aria. Non seulement il est beau
musicalement mais, comportant parfois des phrases assez longues, il
convient parfaitement pour le travail du legato.
Un vrai chanteur se dessine
Oui, on peut vraiment dire ça ! Luc déployait maintenant des possibilités vocales de plus en plus étonnantes !
J’avais
composé, en plus de notre programme habituel, une dizaine d’exercices
complémentaires qui lui convenaient parfaitement. Nous les reprenions à
chaque leçon en les compliquant peu à peu afin de maintenir une courbe
ascendante de progrès !
Travail sur Amarilli
Maintenant,
Amarilli était travaillé à la fin de chaque cours ; c’était notre
moment de récréation… Oui, on peut dire ça… tellement ce « décorticage
lyrique » passionnait mon chanteur, et s’éternisait parfois assez
longtemps, lorsque j’avais un peu de temps devant moi…
Notre pratique :
J’avais
tout d’abord demandé à Luc de vocaliser tout le morceau sur la voyelle
« a ». Naturellement, le tempo et la mesure étaient respectés et nous
nous attachions à faire correctement les nuances, ce qui permet de bien
travailler l’appui dynamique !
Un peu après, le
travail de vocalisation eut lieu en chantant seulement les voyelles
(ainsi, Amarilli mia bella… devenait : a_a_i_i_a_ê_a…), toujours en
respectant rigoureusement la mesure et les nuances… (*)
(*)
Voir Luc se passionner pour le décorticage de cet aria m’incitait à
pousser les choses à fond ! Un vrai morceau de référence était en train
de naître !
Ensuite eut lieu – en recto-tono -
(voix parlée soutenue sur une même note aisée du médium), le travail du
texte italien, toujours en respectant scrupuleusement la mesure et le
tempo !
Amarilli, sur play-back !
Le
jour où le « montage final » fut programmé a été un grand moment pour
nous deux. La séance entière lui fut pratiquement consacré !
Luc
n’eut aucune peine à interpréter ce bel aria, accompagné par
l’orchestre qui jaillissait de mon play-back ! Il le fit plusieurs fois
de suite et, naturellement, l’enregistra pour pérenniser ce moment ! (*)
(*)
Notre travail détaillé en amont avait été extrêmement payant et, comme
dit en début de chapitre, on pouvait considérer qu’un véritable
chanteur venait de voir le jour et, à mon humble avis, allait encore
beaucoup grandir…
Epilogue
Plus
de deux ans ont passé ! Luc vient encore me voir assez souvent. Notre
travail est pratiquement le même ! Bien qu’il soit désormais beaucoup
plus serein, il tient toujours à faire ses relaxations et ses massages
en tout début de cours !
Son répertoire s’est
naturellement enrichi progressivement de nombreux Arie Antique : « Caro
mio ben », « Ombra ma Fu » suivirent Amarilli, puis d’autres encore.
Côté lyrique, nous projetons maintenant de travailler quelques airs
d’opéra adaptés à sa voix…
Bien sûr, le côté
chansons perdure aussi : Brel n’est pas oublié ! Une bonne quinzaine de
ses chansons sont au programme ! Le trio Léo Ferré, Gilbert Bécaud et
Charles Aznavour est également souvent à l’honneur dans nos récréations
de fin de cours…
Luc est maintenant un jeune homme comblé ! Tout comme moi, en un peu plus âgé !
Il
continue à enregistrer chez lui où il s’est progressivement doté d’un
matériel dernier cri, ce qui ne gâte rien ! Son moral est au beau fixe…
Chanter le rend vraiment heureux ! Désormais, il aime sa voix et
participe assez régulièrement à de petits concerts entre amis !
Il m’a confié qu’il donnait même parfois des conseils vocaux aux copains… Il finira peut-être professeur de chant !
A bientôt ?
Pour consulter les archives des billets Actu… c’est ici !

Jean Laforêt