Chronique du 25 février 2007
Respiration et Appui vocal
Romain S. (Lyon)
Bonjour monsieur. Je suis ténor professionnel, j’ai trente-cinq ans.
J’aimerais avoir votre avis sur un ennui vocal que je rencontre très
souvent. J’ai vu plusieurs professeurs de chant qui m’ont aidé, certes,
mais mon problème n’est pas résolu. Votre site traitant de nombreuses
questions intéressant la technique vocale a retenu mon attention. Je
vous félicite bien sincèrement d’y livrer tant de réponses pertinentes
aux éternelles questions que tout chanteur passionné se pose. Je me
suis donc décidé à vous contacter pour vous expliquer mon problème.
Tout
le monde s’accorde à dire que je possède une voix solide et assez
belle. Je chante en concert les grands airs de ténor du répertoire
courant avec, je dois dire, un certain succès. Ma tessiture va du do2
au do4.
Mon problème est celui-ci :
quelquefois, tout va bien et ma voix est performante et, d’autres fois,
sans aucune raison valable (maladie, fatigue vocale, trac ou autres… )
elle m’échappe un peu et se fatigue vite. Je termine le concert mais je
dois pousser et les sons ne sont pas « calés ». Ma respiration me
semble en cause. Pouvez-vous me donner votre avis ? Avez-vous déjà vu
un cas semblable au mien ?
Oui, Romain, je connais quelques personnes qui ont des « symptômes »
semblables à ceux que vous me décrivez. Vous avez la grande chance
d’avoir une voix solide et, sans doute, une bonne santé générale. Cela
vous permet de dominer assez bien la gêne qui est la vôtre et de
terminer vos concerts, même quand vous n’êtes pas au mieux de votre
forme. D’autres chanteurs souffrent beaucoup plus !
Sans
vous connaître mieux, il m’est difficile de vous donner un avis
vraiment pertinent. Cependant, j’incline à penser comme vous. Votre
problème semble de toute évidence être, en premier lieu, un problème
respiratoire d’où découle, en second lieu, un problème d’Appui vocal.
Sans une respiration correctement établie, l’Appui vocal ne peut être que défectueux, d’où votre forme aléatoire…
Dans les très bons jours, l’harmonie générale règne et tout se passe au
mieux. Vous chantez avec plénitude et confiance, sans vous poser de
questions… Votre technique d’émission est sans doute excellente dans
ces moments-là. Il le faut pour chanter les grands airs du répertoire. Seulement, votre technique respiratoire n’étant pas vraiment dominée,
certains jours moins fastes voient la belle mécanique se dérégler un
peu, d’où la fatigue inexplicable que vous décrivez. C’est du moins mon
avis. Il m’a été donné de constater cela à plusieurs reprises.
Je vais donc vous parler de la respiration (en général) et de l’Appui vocal en particulier. Celui-ci, avec la bonne respiration abdominale profonde et l’attaque correcte du son,
est d’une importance capitale pour le chanteur lyrique. Il est
absolument impossible de bien chanter l’opéra sans un appui correct.
C’est lui qui permet à la voix de produire un phrasé mélodique de qualité en assurant l’égalisation de l’énergie vocale.
C’est encore lui qui permet d’économiser ses forces tout en assurant à la voix flexibilité, portée et justesse.
Mon maître, Nick Tzico écrit à ce sujet, dans « Le lexique du chanteur » cette définition sans faille de l’appui :
" Tout son émis et soutenu possède son appui
propre, mais l’Appui consiste dans l’égalisation potentielle de
l’énergie demandée par chaque son, pour former grâce à leur fusion le
phrasé mélodique. Il n’a rien de commun avec la recrudescence de
volume, la poussée qui se fait entendre chaque fois que les sons
montent en registre aigu, ces heurts violents qui hachent la mélodie,
lui donnant l’apparence d’une série d’explosions sonores incohérentes…"
"On ne doit pas confondre l’Appui du chant, avec l’appui de chaque son."
"Lorsque l’on écoute divers chanteurs – qui possèdent ou manque de l’Appui - on éprouve des sensations opposées :
Les premiers semblent avoir réussi à unifier, à
supprimer les distances qui séparent les intervalles. Chaque son naît
du précédent et il est impossible de préciser le moment exact de leur
succession. Le piano fait insensiblement place au forte, durant la
phrase mélodique et d’un bout à l’autre de la respiration…"
Personne ne pourrait mieux dire !
On confond souvent problème respiratoire et problème d’appui car les
deux choses sont étroitement liées, comme je viens de vous l’expliquer.
Celui ou celle qui a une respiration mal placée ne pourra jamais
chanter avec un appui vraiment satisfaisant pour le chant lyrique de
haut niveau. Il faut donc, en tout premier lieu, acquérir une
respiration correcte. Elle doit être abdominale et profonde (ce qui ne signifie nullement qu’il faille pousser le ventre vers l’avant pour inspirer) (*)
(*) Consulter à ce sujet le billet : « La respiration du chanteur ».
Lorsque la respiration est installée correctement, il est temps de
travailler l’Appui (l’Appoggio). Il ne signifie pas seulement « appuyer
sur… » mais évoque la relation que l’on pourrait presque qualifier
d’élastique entre le diaphragme d’une part et le point d’articulation
vocal lui-même.
Citons de nouveau Nick Tzico parlant de l’Appui :
« On ne peut obtenir son contrôle avant de posséder la respiration technique et la vraie attaque du son. »
«
De même, les impressions produites par l’Appui vocal doivent se
localiser entre le muscle diaphragmatique tendu à une extrémité de
l’ensemble phonateur et constituant la paroi élastique qui contrôle la
pression atmosphérique et le dos de la langue, qui fonctionne comme
détendeur entre les piliers des amygdales, réglant le débit des sons
formés par le larynx, empêchant qu’ils deviennent poussifs et s’évadent
en tourbillon dans la bouche, gênant ainsi le fonctionnement de
l’appareil articulateur. »
« Ainsi, la
Respiration Technique, l’Attaque du Son, et l’Appui, sont les trois
éléments primordiaux et indispensables à tout entraînement vocal
rationnel. »
Je ne
vous oublie pas, Romain et je vais vous donner quelques conseils
généraux pour travailler dans la bonne direction. Je crois néanmoins
qu’il était essentiel de vous faire profiter de ces évocations
techniques si parfaitement justes. Elles ne peuvent que vous servir à
mieux appréhender et, ensuite, à mieux résoudre votre problème. Elles
serviront également certainement à d’autres chanteurs.
Donc, la première des choses, Romain, est de revoir calmement votre façon de respirer.
Tout d’abord, un exercice qui vous semblera peut-être très (ou trop) basique ! Faites-le néanmoins consciencieusement.
Allongez-vous confortablement sur le dos, par exemple sur un tapis de
gymnastique ou sur votre moquette. Votre tenue devra être la plus
légère possible : aucun vêtement ne devra gêner votre respiration. Dans
un premier temps, après une rapide détente générale de tout votre corps, soufflez complètement en contractant doucement
vos abdominaux : fff <<< ensuite, relâchez la contraction
abdominale et laissez entrer l’air, (toujours doucement) gorge et
bouche bien ouvertes. Le souffle, dans un mouvement bien exécuté, vous
donnera l’impression d’envahir toute la base de votre buste, votre
ventre bombera un peu… seulement un peu (n’exagérez surtout
pas artificiellement ce gonflement !) Recommencez plusieurs fois
l’opération en facilitant de plus en plus l’entrée de l’air sur le pourtour de votre buste : pensez que celui-ci s’élargit par sa base à l’inspiration. Les côtes flottantes doivent s’écarter légèrement mais le thorax doit rester calme dans sa partie haute !
Ce petit « rappel » respiratoire accompli, essayez de refaire la même opération en position debout, le corps droit, le dos tenu (sans chute du sternum à l’inspiration), et avec une bonne assise du bassin (amollissez un peu les rotules) :
Soufflez : fff <<< puis laissez l’inspiration se produire par la bouche entrouverte.
A une expiration longue et douce correspondra une inspiration de même
type, toute la base du buste s’ouvrant doucement (côtes flottantes et
bas du dos y compris). Pour plus de sécurité, contrôlez avec vos mains
placées, pouces vers l’arrière, juste au-dessus de vos hanches.
Apprenez à votre buste à s’ouvrir ainsi. Ne poussez surtout pas votre ventre à l’avant !
Les inspirations doivent être parfaitement silencieuses et ensuite, au cours d’un morceau, complètement réflexes, anticipant chacune de vos attaques.
C’est comme cela, Romain, que vous devez respirer. Naturellement, dans
le chant d’opéra, d’autres éléments indispensables viennent s’ajouter,
tels :
L’arrêt (ou suspension) du souffle
Le souffle étant correctement pris, cet « arrêt » se situe juste avant l’attaque du son. C’est une « suspension » de cette attaque toute prête à se produire
(on va chanter et on reste un peu en attente, comme surpris par quelque
évènement extérieur). Pendant ce très court instant (une seconde
environ), tous les éléments qui concourent à une attaque correcte se
mettent en place… le souffle semble à la fois arrêté du nombril aux reins et suspendu à la place d’attaque elle-même. On peut percevoir ensuite, juste avant l’attaque du son, une légère tension un peu au-dessus de la symphyse pubienne (c’est l’impulsion abdominale
que je décris dans d’autres billets). C’est la première manifestation
de l’Appui. Elle a lieu a la fin de la suspension du souffle,
anticipant chaque début de son ; elle donne naissance à l’Appui
lui-même qui devra suivre la voix dans toutes ses nuances…
Confondre cette « impulsion » avec une « rentrée » du ventre serait une erreur lourde de conséquences.
L’attaque du son
Elle doit être glottale et très douce : aucun choc intempestif ne doit être perçu, même dans le cas d’une attaque dans une nuance forte.
Dans ce cas-là, le son sera immédiatement renforcé mais la naissance de
celui-ci devra être obtenue avec netteté et douceur. La sensation
d’appui décrite ci-dessus la précède toujours.
Comment travailler l’Appui
Le meilleur exercice, pour cela, est celui de la "messa di voce" .
Je vous conseille, Romain, d’user… et d’abuser de cet exercice. C’est un des meilleurs que je connaisse pour améliorer votre Appui vocal.
Il ne s’agit pas seulement de le comprendre, il faut le pratiquer
journellement. Un son attaqué très piano (en appui, naturellement) doit
pouvoir être amené à un forte conséquent puis, de nouveau, dans un long
diminuendo, ramené à la nuance piano de départ. L’Appui reste toujours
présent, suivant et soutenant la nuance. Cela n’a rien de facile !
Reportez-vous au billet du 15 octobre 2006 : « Le cours de technique vocale type ». L’exercice y est décrit en détail.
L’arpège nuancé
Vous pouvez aussi, lorsque vous chantez un arpège en voix pleine,
donner l’extrême aigu de celui-ci dans une nuance relativement piano,
par rapport au « corps » de l’arpège qui aura été chanté beaucoup plus
fort. Cet exercice (très simple) permet de ressentir l’appui abdominal
correct. Notez bien que l’Appui devra être discrètement présent dès l’attaque même de cet arpège - donc sur sa note la plus grave - et la voix pleine conservée
d’un bout à l’autre de l’exercice. Prendre une voix mixte le fausserait
complètement car les « niveaux d’Appui » et les pressions y sont
différents.
Consigne absolue
On ne doit jamais se séparer de l’Appui. Il doit toujours soutenir le
chant. Lui seul peut maintenir un équilibre élastique adéquat entre la
soufflerie et la place vocale dans tous les cas de figure : il permet,
entre autres, le legato, sans lequel le beau chant n’existe pas.
« Ce double contact (soufflerie-place vocale) doit être permanent et
l’articulation ne doit gêner en rien le déroulement du phrasé. »
Voilà, Romain. Retravaillez techniquement vos
morceaux dans ce sens. Il faut que vous soyez exigeant avec vous-même.
Faites-vous contrôler, ce serait mieux !
« Souvenez-vous, aucun son ne doit être lâché,
l’Appui doit suivre chaque mot, précéder chaque attaque, suivre tout
crescendo ou diminuendo… c’est « l’Ange Gardien » de la voix !
Souvenez-vous aussi qu’il ne peut agir qu’à partir d’une respiration de base correcte.
Tenez-moi au courant et très bon travail…
A bientôt ?
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Jean Laforêt